Une voix qu’on croirait sortie d’un reportage de la ORTF sur Mai 1968 couvre par un prisme à la fois intime et collectif les événements qui ont agité la société française ces dernières années, depuis l’explosion du mouvement des Gilets Jaunes en 2018 jusqu’aux séries de couvre-feux et confinements qui ont bloqué la France jusqu’en mai 2021. C’est celle du personnage fictif Pierre Bolex, 41 ans – soit quasiment le même âge qu’Emmanuel Macron qui avait, lui, 40 ans en 2018.
Sur fond d’amourettes légères dans un Paris muséifié, Pierre tourne en rond et en 16 mm pour documenter cette série de samedis en manifs enfiévrés. Il choisit vite son bord (sans pour autant l’idéaliser) : celui d’un peuple poussé à bout par des mesures gouvernementales liberticides, violentes, appauvrissantes.
Bel hommage au sublime Le Fond de l’air est rouge de , sorti en 1977, ce ciné-tract à la sauce contemporaine réussit à être nostalgique et « en même temps » pas du tout passéiste, hyperréaliste et « en même temps » rêveur et utopique – il s’inscrit aussi logiquement dans la filmo de Peretjatko, par l’humour d’abord (car le réalisateur manie le décalage, l’ironie douce et la transgression des tons comme peu d’autres) mais aussi par son obsession toujours vivace des symboles révolutionnaires et des idéaux d’une gauche aujourd’hui exsangue – en tout cas très fatiguée.
Peut-être un peu douché par la période, on ressent précisément une grande bouffée d’air en voyant Les Rendez-vous du samedi. Non pas que le film soit rassurant sur l’état de la société en cette veille d’élections – loin de là –, mais il a d’abord le mérite de nous remémorer des épisodes qu’on aurait trop facilement tendance à oublier, comme des poissons rouges coincés dans le bocal de l’hypermédiatisation.
Une actualité en chassant tellement vite une autre, on ne réalise pas forcément ce qui nous est tombé sur la tête, on se laisse engourdir. Pire : on est parfois tenté de croire tout et n’importe quoi, d’aller directement à la facilité, de naviguer à l’aveugle dans les eaux troubles du complotisme.
À ce grand cirque médiatique, Peretjako oppose son petit cirque à lui, bien rôdé et malin, en dézinguant les personnalités politiques en responsabilité (et si ce n’était pas eux, les vrais clowns ?) et en nous mitraillant de chiffres, d’études, invitant chacun à se poser et à réfléchir. Rien d’assommant pour autant dans sa démarche, qui se pare d’atours poétiques (le cinéaste convoque les textes de Jean Cocteau, Louis Aragon, Jacques Prévert ou Max Gallo). Avec le documentaire , c’est l’un des films les plus forts qu’on ait vu dernièrement sur la crise des Gilets Jaunes, dont la flamme n’est peut-être pas tout à fait éteinte.
: Les Rendez-vous du samedi d’Antonin Peretjatko (Shellac, 53 minutes)
Jusqu’au 5 avril au mk2 Gambetta. Pour réserver votre place, cliquez ici.