« La Zone d’intérêt » de Jonathan Glazer : dans le jardin du mal  

[CRITIQUE] Le quatrième film de Jonathan Glazer est une plongée aussi étrange que virtuose dans le quotidien du commandant d’Auschwitz et de sa famille. En déplaçant le regard habituellement porté sur la Shoah pour laisser la mort et l’horreur hors-champ, le Britannique en offre une vision plus pétrifiante que jamais.


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Les premières minutes de The Zone of interest, étranges – écran noir et bruits qui arrivent peu à peu à saturation – résument à elles seules le projet de Jonathan Glazer. L’important sera moins l’image que le son, moins le cadre que ce qui en déborde. Ce n’est que si on tend l’oreille qu’on pourra percevoir, derrière les piaillements du quotidien d’une famille nombreuse allemande, le claquement de coups de feu et les cris. Ce n’est qu’en déportant le regard du jardin magnifique de cette villa, ses fleurs éclatantes et son gazon bien ras, qu’on saisira les murs de béton autour, la fumée des cheminées et la vapeur des trains qui passent et repassent. Les Höss habitent à Auschwitz, à deux pas de la mort à grande échelle, que Höss orchestre avec une efficacité saluée en haut lieu, et que sa femme accepte sans problème.  

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En trois films (Sexy Beast, Birth puis Under the skin), Jonathan Glazer s’est imposé comme le cinéaste du décalage et de l’inconfort, capable d’emmener les histoires de gangster ou d’amour dans des contrées inexplorées. The Zone of interest applique le même principe à la Shoah avec une improbable audace, un regard inédit. L’Holocauste est nulle part et partout à la fois. On enrichit la terre du jardin avec de la cendre, on tombe littéralement sur un os pendant une partie de pêche, madame choisit un manteau de fourrure parmi les valises confisquées à la descente du train. Glazer va jusqu’au bout de sa fascination pour l’uncanny, cette troublante étrangeté, en faisant de la demeure des Höss une sorte de bulle perverse (on se croirait chez Jacques Tati) et en plaçant dans la bouche de ses protagonistes (excellentissimes Sandra Hüller et Christian Friedel) des saillies franchement drôles.

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L’horreur ne s’en trouve qu’exacerbée, si complète qu’elle finit par atteindre les entrailles de Rudolf Höss, sans freiner pour autant sa terrifiante capacité à mettre tous les principes d’organisation industrielle au service de la destruction d’une population. La « zone d’intérêt » désignait en 1940 les 40 km2 réquisitionnés pour construire Auschwitz. Celle du film, son véritable sujet, restera hors champ jusqu’à ce que Jonathan Glazer explique son choix dans les dernières minutes : pour lui, contrairement à bien d’autres avant, un camp de concentration ne peut relever de la fiction. 

La Zone d’intérêt de Jonathan Glazer, Bac Films, 1h45, sortie le 31 janvier

Image (c) A24