LA SEXTAPE · Perdre sa virginité au cinéma avec Molly Manning Walker

Devant l’électrisant « How to Have Sex » de Molly Manning Walker, au Festival de Cannes, j’ai été frappée par une épiphanie intime, comme si je voyais une fille perdre sa virginité au cinéma pour la première fois.


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Pourtant je repensais à tous les films que j’avais en mémoire : Kids (1995), Innocents. The Dreamers (2003), Virgin Suicides (2000)… : la liste est longue. Alors, pourquoi avais-je ressenti cela ? Dans notre société, perdre sa virginité n’est pas un tabou ; au contraire, cela s’inscrit tout naturellement dans une to do list, comme dans le film de Maggie Carey (réalisatrice de The To Do List – The Sex List pour la version française). C’est un passage obligé pour devenir une femme, entre savoir marcher en talons et sauter en parachute. How to Have Sex ose poser d’autres questions (notamment : « est-ce que je le veux vraiment ? ») et s’autorise ainsi à interroger l’armageddon intime que ce passage à l’acte représente.

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Perdre sa virginité est proche d’un rituel initiatique. « Est-ce que j’ai changé ? » demande l’héroïne de The Diary of a Teenage Girl (Marielle Heller, 2015) juste après l’acte, comme si cela s’inscrivait sur le front par magie. Dans la vie d’une jeune fille banale, perdre sa virginité, c’est un instant un peu confus, étrangement vide malgré une fierté idiote qui masque une forme de déception, un sentiment de « tout ça pour ça ». Au cinéma, le dépucelage des garçons hétérosexuels est majoritairement traité sous la forme de la blague (American Pie de Paul et Chris Weitz, 1999, 40 ans, toujours puceau de Judd Apatow, 2015) ; quant à celui des jeunes filles, il suffit de taper « la virginité des jeunes filles au cinéma » sur Google pour prendre la mesure du moulin à fantasmes qu’il représente pour les hommes (Jeune et jolie de François Ozon, 2013, Sexe Intentions de Roger Kumble, 1999…)

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L’héroïne de White Bird de Gregg Araki (2014), Shailene Woodley, s’amusant d’avoir perdu sa virginité quatre fois au cinéma, avait répondu à un journaliste que les filles le faisaient pour les autres. Oui, la brisure de l’hymen – puisque c’est de cela qu’on parle – n’appartient pas aux jeunes filles, et, à sa manière, la réalisatrice de How to Have Sex (présenté en sélection Un certain regard à Cannes cette année) la leur rend. Comme Catherine Breillat l’avait fait avec 36 fillette (1988) avant elle. Sur le papier, l’histoire du film a un fort air de déjà-vu : une jeune femme décidée à perdre sa virginité avant la fac plonge tête la première dans les réjouissances d’un spring break avec ses copines délurées. Mais, dans ce décorum criard, Molly Manning Walker réussit à saisir le vertige existentiel de son héroïne et sonde avec un humour acide les doutes d’une génération grisée par l’euphorie collective.

Photo : Copyright Nikolopoulos Nikos