Le Napoléon de Ridley Scott commence par la décapitation d’une femme, et pas n’importe laquelle, la plus féminine et puissante de toutes : Marie-Antoinette. On aperçoit Napoléon assister à l’exécution, perdu dans la foule, ce qui est historiquement faux. Cette mise à mort frontale, comme détachée du reste, sera répliquée ensuite dans la bouffonnerie et contaminera tout le film. Ce dernier ne cessera d’alterner succès militaires et défaites cuisantes dans le lit conjugal, devenu lui aussi un champ de bataille. La première séquence de sexe entre Joséphine et Napoléon, celle qui s’est imprimée dans ma rétine, surgit abruptement entre deux opérations militaires de grande envergure, et les autres seront comme des échos mornes de celle-ci. À bien des égards, elle est plus glaçante que la bataille d’Austerlitz. L’Empereur monte avec fatuité Joséphine en levrette, comme l’on monterait un cheval, ou plutôt une chèvre (en italien, cette position se nomme « pecorina »). Napoléon donne des coups de reins frénétiques et bestiaux – ou, pour reprendre un terme militaire, il la « pilonne » – sans aucune considération pour elle, qui semble horrifiée et lasse.
“Napoléon” de Ridley Scott : ce qu’en pensent les critiques sur X
Par cette simple séquence, Ridley Scott déboulonne la statue de Napoléon, car la caméra contredit la symbolique virile de cette position par une mise à distance. Il filme l’échec de sa volonté d’assujettir une femme qui lui refuse l’amour. C’est le Waterloo du pieu. Et l’on songe, à ce moment-là, à la communauté grandissante des masculinistes en manque de sexe qui rêvent de remettre les femmes à leur supposée place (inférieures et soumises, donc), qui sont prêts à commettre des tueries sanglantes par frustration sexuelle. « Napoléon serait-il devenu un “dieu de la guerre” s’il avait su conquérir sa femme ? », semble chuchoter Ridley Scott.
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Ce qu’il déboulonne aussi, avec cette scène, c’est le regard sur cette position sexuelle confortable à filmer et considérée la plupart du temps comme hautement érotique (jusqu’à figurer sur l’affiche de Sliver de Phillip Noyce, en 1993). Je ne sais pas s’il faut attendre le director’s cut de plus de quatre heures pour se prononcer sur Napoléon, si réellement l’Empereur était un mauvais coup ou sous emprise de sa femme, mais je sais que l’on ne pourra peut-être plus filmer la levrette comme avant après ce film. Et c’est une (petite) victoire scottienne.
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