« La Nuit du 12 » de Dominik Moll : un polar hanté et imperturbable

Trois ans après l’excellent puzzle atmosphérique « Seules les bêtes », Dominik Moll trouve dans l’isolement de la montagne le décor idéal pour ce thriller corrosif. Et le cinéaste français d’injecter à sa « Nuit du 12 » un discours féministe impénitent.


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Ce film a reçu le César 2022 du meilleur film, du meilleur scénario adapté et du meilleur réalisateur pour Dominik Moll

Révéré pour ses polars psychologiques à la mécanique implacable, Dominik Moll (Harry, un ami qui vous veut du bien) engage avec ce nouveau film une étude minutieuse des micro-galaxies qui entourent un meurtre irrésolu. Co-écrit avec Gilles Marchand (L’Autre monde), La Nuit du 12 pioche deux chapitres dans 18.3 – Une année à la PJ de Pauline Guéna et met en scène Bastien Bouillon (vu chez Valérie Donzelli et Sébastien Betbeder) dans le rôle de Yohan, un enquêteur fraîchement nommé à son poste. Hanté par « L’affaire Clara », du prénom d’une jeune femme brûlée vive dans une petite ville de montagne près de Grenoble, il fait équipe avec Marceau (un grand sentimental colérique campé par Bouli Lanners) pour résoudre l’affaire.

« Seules les bêtes », thriller enneigé de Dominik Moll

À un polar « classique », qui suit pas à pas une enquête tout en s’intéressant aux dynamiques plus intimes qui régissent la PJ, s’ajoute une réflexion fine sur les rapports entre les sexes. Car si Clara n’apparaît que dans la scène introductive, sa personne irrigue avec force les deux heures suivantes du film – tout comme son affiche, qu’elle occupe entièrement. C’est toute l’intelligence et la finesse de Dominik Moll que de replacer l’intégrité de la jeune femme au centre des réflexions et pistes, comme pour lui donner une tribune posthume, l’affranchir de ce que ses anciens amants livrent d’elle.

Au sein d’une équipe exclusivement masculine, Yohan fait exister cette voix, son caractère calme et observateur – comme souvent chez les hommes de Dominik Moll, avec l’idée d’une intériorité inaccessible – le défaisant de caractéristiques genrées. La Nuit du 12 prend rapidement un tour politique et pourrait même être lu comme une allégorie du mouvement #metoo. S’il adopte un aspect circulaire – Yohan s’entraîne au cyclisme sur piste, de nuit sur un vélodrome, l’enquête patine avec un retour récurrent à l’envoyeur (la PJ) –, le film trouve parfois des brèches, notamment grâce à trois personnages-clef qui viennent énoncer d’imparables vérités sur le traitement réservé aux femmes, qu’elles soient mortes ou vives.

Ces regards permettent aussi à Dominik Moll d’analyser des masculinités en souffrance, une incapacité crasse de certains hommes à se positionner par rapport au féminin et à échanger autour de sentiments. Propulsé par un imperturbable sens du rythme comme par des dialogues qui donnent tout leur jus à une galerie charnue de personnages, La Nuit du 12 réconcilie méthode et émotion dans un corps de métier encore trusté par les hommes.

La Nuit du 12 de Dominik Moll, Haut et Court (1h54), sortie le 13 juillet 2022.

Le Festival de Cannes se tient cette année du 17 au 28 mai 2022. 

Image © Haut et Court