LOUIS GARREL
« La première fois que j’ai vu Masculin féminin, j’avais 14 ans, et ce qui m’avait plu c’était surtout le récit intime entre les différents personnages. Je l’ai revu il n’y a pas très longtemps et cette fois ce qui m’a marqué, c’est non seulement sa modernité narrative, mais surtout le fait que c’est un véritable documentaire sur la France d’avant Mai 68. Vivre sa vie. Je trouve qu’à travers cette histoire tragique, Godard fait un portrait très émouvant d’Anna Karina, alors son épouse. Prénom Carmen. Il s’empare d’un classique de l’opéra, Carmen, avec une grande virtuosité et parvient à le fondre dans son cinéma. »
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JULIA DUCOURNAU
« En France, le genre [de la Nouvelle Vague, ndlr] existait dans les années 1950-1960, mais il y avait une forme d’académisme. Donc ces cinéastes ont fait partie de cette génération que la Nouvelle Vague a voulu envoyer péter. Après la Nouvelle Vague, c’est un tsunami qui dure cinquante ans. Je ne sais pas pourquoi ça a été aussi impitoyable par rapport au cinéma de genre, pourquoi il n’y a pas eu de résurrection plus tôt… Mais ce qui est bizarre, c’est que, moi, j’ai toujours considéré les films de Jean-Luc Godard comme des films de genre, mais ce n’est pas ça qu’on en retient, ce qui est resté. Pierrot le Fou, ça mélange plein de genres, le polar, le film de gangsters, le film d’amour, la comédie. Alphaville, pareil : si c’est pas le film le plus perché de la planète, je ne sais pas ce que c’est. »
Jean-Luc Godard et les années 1960 : Pièces détachées
CHANTAL GOYA, à propos du tournage de Masculin féminin
« On n’a rien fait comme Godard voulait, on décidait tout ! À un moment, avec Marlène Jobert, il nous a demandé de nous mettre nues pour une scène dans une salle de bains. Nos silhouettes devaient bouger derrière des vitres dépolies. Moi, j’étais enceinte, je ne voulais pas être à poil, et je ne voulais embrasser personne. Je me suis cachée sous le lavabo et Marlene se faisait passer pour moi. Un jour, il nous avait collés devant un écran de cinéma en nous disant qu’il allait nous montrer un très joli film, Sissi impératrice. Au final, il nous a diffusé un film porno ! J’étais la porte-parole alors je lui ai dit : « non mais dis donc, tu es un gros menteur toi ! » Il en faut plus pour me perturber, il n’a pas réussi son coup. »
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BETTE GORDON, réalisatrice de Variety
« J’ai grandi dans la banlieue de Boston, dans le Massachusetts. Au lycée, j’ai étudié le français, et ma prof m’a emmené voir À bout de souffle de Jean-Luc Godard. À ce moment-là de ma vie, je me suis dit : « Un jour, tu vas aller à Paris. » Au fond, ça signifiait que je rêvais de faire un film comme celui de Godard. Une fois à l’université, j’ai choisi d’aller vivre un an à Paris. Une amie à moi qui étudiait l’histoire de l’art m’a proposé qu’on s’inscrive en cinéma. C’était nouveau, excitant (…) Quand j’ai interviewé Jean-Luc Godard en 1895, au New York Film Festival pour Je vous salue, Marie… Oh, mon Dieu ! J’ai passé des nuits blanches à réfléchir à mes questions. Quand je suis arrivée à son hôtel, j’étais comme possédée. J’avais peut-être 30 ans à l’époque. J’ai vu un lit, lui était assis sur une chaise devant un bureau. Et je lui ai proposé qu’on fasse l’entretien allongés dessus. Il était un peu étonné, mais a accepté. Il était adorable, on parlait des liens entre religion et pornographie, du blasphème… Il imaginait Jésus comme un type bossant dans une station-service, et Marie, comme sa petite amie. »
Bette Gordon : « Je voulais m’introduire dans les espaces masculins et les subvertir »