Joanna Hogg, l’art de la discrétion

Au cœur des cinq longs métrages qu’a réalisés Joanna Hogg, des personnages d’observateurs font écho à tout ce qui fait l’intelligence et la sensibilité de son cinéma : la distance, la patience, l’acuité psychologique, la discrétion. Jouant elle-même de cette position de spectatrice attentive, la cinéaste va alors loin dans l’introspection.


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Unrelated (2007)

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En plein doute sur sa relation, Anna (Kathryn Worth), la quarantaine, fuit vers la Toscane où sa meilleure amie, Verena, (Mary Roscoe) est en vacances avec sa famille. Mais, arrivée là-bas, elle passe beaucoup plus de temps avec le fils de celle-ci, Oakley (Tom Hiddleston), et ses jeunes amis vingtenaires qu’avec les gens de son âge. D’abord juste curieuse, en retrait, elle se rapproche d’Oakley… Dans ce premier long métrage, qui évoque à la fois Le Rayon vert d’Éric Rohmer (1986) et Call Me by Your Name de Luca Guadagnino (2018), Joanna Hogg révèle un acteur, Tom Hiddleston, ici dans son tout premier rôle, dément de sensualité. Mais surtout elle pose les bases de son style ouaté, entre plans d’ensemble et personnages qui aiment à s’isoler.

Joanna Hogg : « Je viens enfin de réaliser le film de fin d’études que j’aurais voulu faire à l’époque »

Archipelago (2010)

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Joanna Hogg retrouve le sensible Tom Hiddleston, ici dans le rôle d’Edward, un jeune homme qui vient de quitter son job dans une association de lutte contre le sida en Afrique. Il retrouve sa sœur et sa mère en vacances sur l’île de Tresco, en Cornouailles. Le jeune homme arrive fébrile car celles-ci n’ont pas pris la peine d’inviter sa fiancée. Elles-mêmes semblent tendues par l’absence de son père… À travers les personnages en apparence effacés de la cuisinière employée par la famille et d’un peintre qu’elle va souvent croiser, Hogg place le spectateur dans une position délicate, lui donnant l’impression intrusive de capter le ressentiment qui ronge les protagonistes. Elle joue d’ailleurs d’un motif qui reviendra souvent chez elle, la dispute saisie hors champ.

Exhibition (2013)

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Le film le plus conceptuel et intriguant de Joanna Hogg. C’est d’abord un quasi-huis clos en forme d’hommage à l’architecte James Melvin, concepteur de la maison londonienne qui est la véritable héroïne du film. C’est aussi une satire feutrée sur la vie d’un couple d’artistes contemporains, D (Viv Albertine, guitariste du groupe punk The Slits) et h (le plasticien Liam Gillick), qui habite ce drôle d’endroit qu’ils voient comme une œuvre d’art. Les immenses baies vitrées laissent l’intimité du couple s’exhiber au regard des passants, observateurs de ces individus qui semblent coupés du monde. Dans une mise en scène très composée, l’angoisse claustro de la vie domestique sourd ici d’un cadre chic et hyper moderne.

The Souvenir (2019)

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Joanna Hogg a attendu longtemps avant de faire ce film, son plus intime. Dans cette autofiction, elle raconte à travers les yeux de son alter ego Julie (Honor Swinton Byrne) une relation toxique vécue dans les années 1980 avec un homme héroïnomane (Anthony Burke) qui a entamé l’élan qu’elle prenait en tant qu’apprentie cinéaste dans une école de cinéma londonienne. Julie y apparaît discrète, en retrait, toujours derrière un appareil photo, comme si elle n’était pas encore assez en confiance pour s’imposer aux autres étudiants, mais aussi comme si elle engrangeait la matière d’une œuvre future. Sans doute l’un des plus beaux films que l’on ait vus sur la construction d’un regard, d’une grande finesse aussi sur les mécanismes de l’emprise.

PORTRAIT : Honor Swinton Byrne, actrice

The Souvenir part. II (2021)

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Si la première partie du diptyque était calquée sur les souvenirs réels de la cinéaste, la seconde tient plus du fantasme. Car, ici, Joanna Hogg filme Julie réalisant son film de fin d’études alors qu’elle fait encore son deuil, qu’elle digère sa relation avec Anthony. Elle s’inspire de sa relation passée, ce que Hogg aurait aimé faire à l’époque où elle avait son âge… À travers cette magnifique mise en abyme, la cinéaste se projette dans cette jeune fille qui, peu à peu, arrive à imposer ses choix, sa vision, sa voix, au milieu d’une équipe loin d’être acquise d’avance. Il fallait bien deux films pour raconter cette lente émancipation.

Unrelated, Archipelago et Exhibition de Joanna Hogg, Condor (1 h 40, 1 h 40, 1 h49), sortie en salles au printemps 2022

Portrait © BAFTA – Ellis Parrinder

Photogrammes © Condor