Quel rapport entreteniez-vous avec l’univers de Kervern et Delépine avant de rejoindre le projet En même temps ?
India Hair : Pour moi, c’est un rapport familial, car j’ai le sentiment d’avoir grandi avec leurs films. Ça a débuté avec Louise-Michel quand je devais être en fin de collège, puis il y a eu Mammuth et tous les autres. Travailler sur En même temps, c’était aller chercher le regard unique de Gustave et Benoît, qui est à la fois hyper acerbe et plein d’amour. Et puis comme c’est un cinéma qui m’accompagne depuis longtemps, je trouve fou d’en faire désormais partie. C’est quelque chose de très fort, de très important, dans ma vie d’actrice.
Jehnny Beth : Pour ma part, j’ai rencontré Benoît au Festival du Film Francophone d’Angoulême l’été dernier [Jehnny Beth y présentait Les Olympiades de Jacques Audiard en avant-première, ndlr] et je lui ai tout de suite dit le grand bien que je pensais de son travail et surtout d’Effacer l’historique. C’est vraiment un film qui m’a mis une claque, dans le sens où j’avais l’impression de voir quelque chose qui était essentiel pour le cinéma. On y parle d’une époque, avec de l’humour mais aussi un sens du tragique. Et par « tragique », j’entends « plein d’amour ». Il y a quelque chose de très humain dans le cinéma de Kervern et Delépine qui me plaît beaucoup.
I.H. : En effet, on peut s’attacher aux personnages, mais la tragédie est posée dans leurs films.
J. B. : Oui, d’ailleurs, tu disais l’autre fois qu’on a l’impression de voir des gens qui se débattent avec ce qui se passe, avec leur environnement et avec eux-mêmes. Je trouve que l’humour est l’un des éléments du cinéma de Kervern et Delépine qui est le mieux amené, mais c’est aussi parce que l’on passe par l’humour pour arriver à une réflexion. Les personnages ont un vrai trajet dans le film ; chacun d’entre eux doutent à un moment donné. En somme, il n’y a pas de bons ni de méchants, et ça fait du bien !
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L’énergie que déploie le trio de militantes féministes que vous composez, avec l’actrice et humoriste Doully, s’ancre dans la force du collectif. Est-ce le même esprit de troupe que l’on retrouve sur le tournage ?
I.H. : Gustave et Benoît travaillent avec la même équipe depuis leur premier film : le chef op’, le premier assistant… Nous sommes arrivées dans un milieu où chacun était heureux d’être là et savait pourquoi il s’y trouvait, un espace où régnait une certaine tranquillité parce que tout le monde se connaissait dans le travail.
J.B. : On était dans un bon bain chaud ! C’était comme si on se connaissait déjà, j’ai vraiment eu cette sensation de familiarité immédiate.
I. H. : C’est comme lorsqu’on est conscient de ses défauts et qu’on se dit que ce n’est pas très grave.
Les scénarios de Kervern et Delépine sont très écrits. Qu’avez-vous amené chez vos personnages, de quelles idées et références les avez-vous nourris ?
J.B. : Le chewing-gum ! À la première lecture qu’on a fait ensemble, je me suis dit que j’aimerais bien que Nina en mâche un, ça me faisait penser à Brad Pitt dans Burn After Reading [d’Ethan et Joel Coen, sorti en 2008, ndlr]. Je viens tout de même de me comparer à Brad Pitt… Je voulais donner un petit côté sportif, dynamique, à ce personnage et le costume m’a aidée à accompagner cette envie. Ce que je trouve beau dans ce scénario, c’est qu’à la lecture, on voit directement la scène. Le but, quand on est acteur, c’est juste de garder la vie de ce texte. Autant dire que ça n’a pas été très compliqué avec India et Doully…
I.H. : Et puis, on a beaucoup de scènes d’action dans le film ; ça cadre le jeu car on sait pourquoi on est là, quels sont les enjeux…
India Hair et Doully dans En même temps © Chloe Carbonel
Les personnages féminins sont d’une grande richesse dans l’écriture. Comment regardez-vous le fait que ces rôles aient été écrits par deux hommes d’une autre génération ?
J.B. : Heureusement que les hommes peuvent être féministes !
I.H. : Cette parole-là peut être portée par des femmes autant que par des hommes. Le regard de Gustave et Benoît est hyper recherché et je trouve qu’ils ont une maîtrise assez folle du sujet. C’est ce qui est merveilleux quand on va au cinéma : on découvre l’altérité via des gens qu’on ne connaît pas, et Gustave et Benoît savent donner à leurs personnages une grande complexité.
J.B. : Et puis les hommes politiques joués par Jonathan Cohen et Vincent Macaigne arrivent finalement à trouver une douceur… Tous deux redécouvrent leurs relations avec les femmes et je trouve très beau le fait qu’ils admettent avoir été cons. Le film parle aussi de solitude pour ces deux hommes.
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Le militantisme qui s’exprime dans le film se fait dans la joie et l’humour. Considérez-vous le féminisme comme une clef de notre avenir politique ?
J.B. : Les personnages de Vincent et Jonathan passent par le féminin, ou en tout cas par ce que l’on définit comme féminin, dans leur cheminement. C’est étrange ces conceptions, comme si la douceur était féminine… Ensuite, faut-il passer par le féminin pour s’en sortir ? C’est simplement qu’il faut l’inclure, en fait. C’est un peu le sujet du film : il faut cette présence, il faut se battre pour qu’elle existe.
I.H. : Aux essayages, j’avais entendu Gustave et Benoît dire que les seuls sujets qui comptaient maintenant, dont il était urgent de se préoccuper, c’était l’écologie et le féminisme. C’est ça, au final : prendre soin des gens et prendre soin de la terre.
Malgré la fronde lancée contre les deux hommes politiques, les activistes que vous interprétez entretiennent une forme de tendresse pour eux.
I.H. : De toute façon, il est impossible de se dire qu’on va exclure la moitié de l’humanité. Je crois qu’il vaut mieux avoir un espace où les hommes soient rachetables.
Portrait de Jehnny Beth et India Hair par © Laura Pertuy pour TROISCOULEURS