Godard vu par… Wiaz

Le réalisateur a été son beau-frère de 1967 à 1970, période où il était marié à sa sœur, l’actrice et écrivaine Anne Wiazemsky. En hommage, Wiaz nous a confiés trois dessins de Godard et nous a raconté son adolescence passée auprès du maître, alors amoureux éperdu et maoïste convaincu.


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« Tous les matins, Jean-Luc m’appelait au téléphone pour me réveiller et pour que j’aille en classe. J’étais pas un mec du matin…», raconte malicieusement Wiaz, 73 ans, les yeux intensément bleus, dans son appartement du IXe arrondissement débordant de classeurs de photos et d’objets souvenirs – comme ce trophée d’un festival mexicain pour Alphaville, une étrange aventure de Lemmy Caution (1965) que lui a donné Godard. Le dessinateur, qui a travaillé pendant quarante ans pour Le Nouvel Obs et a collaboré avec Charlie Hebdo et Ouest-France, est un tout jeune homme de 17 ans quand il rencontre Godard via sa sœur, Anne Wiazemsky.

Elle en a deux ans de plus. Godard, 35 ans, a tout fait pour s’incruster sur le tournage d’Au hasard Balthazar (1966) de Robert Bresson, dont la jeune actrice tient le premier rôle. Il est tombé amoureux d’elle en voyant sa photo dans Le Figaro. Les avances du cinéaste en vogue, elle n’en a d’abord pas grand-chose à faire. Mais, quand elle voit Masculin féminin (1966), elle a l’impression que le film lui est adressé. Elle lui écrit une lettre, et ils sortent ensemble. «À partir du moment où elle s’est mise avec Godard, elle s’est éloignée de la famille. C’était une prise d’indépendance», raconte son petit frère.

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Il faut dire que le cinéaste tête brûlée cadre mal dans cette famille du XVIe arrondissement – du côté paternel, le frère et la sœur Wiazemsky descendent d’une lignée princière de Russie ; dans la branche maternelle, leur grand-père (chez qui ils vivent) n’est autre que François Mauriac, académicien et Prix Nobel de littérature en 1952, auteur de Thérèse Desqueyroux (1927) et du Nœud de vipères (1932), politiquement gaulliste. «Maman était horrifiée à l’idée qu’Anne devienne la maîtresse de Godard – elle était encore mineure selon la législation de l’époque. Avec Mauriac, ça s’est bien passé lorsqu’il est venu lui demander officiellement la main d’Anne en se préparant nickel chrome. C’est moi qui ai emmené mon grand-père voir Pierrot le Fou en 1965, il était très enthousiaste. »

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Wiaz est alors dans l’effervescence de la jeunesse pré-68 – il signe ses premiers dessins pour les publications de la Jeunesse communiste révolutionnaire et prend une part active lors de l’affaire Henri Langlois (le fondateur et directeur de la Cinémathèque française, alors menacé d’éviction et soutenu par nombre de cinéastes, cinéphiles et étudiants). Des sujets dont il débat de manière enflammée avec Godard au moment où celui-ci prépare La Chinoise (1967), se voyant comme un héraut de la pensée maoïste. Dans un sourire un peu moqueur, Wiaz se rappelle devant nous la fois où le réalisateur lui est revenu tout tristou : «Les autorités chinoises ont détesté le film ! »

Après la séparation entre Godard et Anne Wiazemsky, en 1970, Wiaz a perdu le cinéaste de vue. Mais il a souvent repensé à lui, comme en témoignent ces quelques dessins faits bien après, dans les années 1970-1980. Peut-être aussi que Godard, alors même que son cinéma devenait de plus en plus politique avec le groupe Dziga Vertov, un collectif cinématographique d’inspiration maoïste qu’il avait fondé en 1968 avec Jean-Pierre Gorin et s’est dissous en 1972, se rappelait parfois son ex-beau-frère. C’est en tout cas ce que laisse penser un plan du film Pravda (1970), qui, comme un signe d’amitié, recycle une photo de Wiaz : « Celle d’un char soviétique à la frontière hongroise, en 1969. » Il faudra un jour faire une archéologie intime des films de Godard : à combien de personnes cet amoureux de la citation cryptée a-t-il laissé de tels clins d’œil dans ses films ?

Dessins : © Wiaz