Le saviez-vous ? Avant de sillonner les marges de l’Amérique rurale, peuplée d’outsiders solitaires et d’héroïnes émancipées, a débuté dans le cinéma indé aux côtés de Todd Haynes – elle a été accessoiriste et costumière sur son film Poison (1991) – et , avec qui elle partage un certain goût pour les losers magnifiques et les expérimentations audacieuses. Histoire d’apprendre à mieux la connaître, le Centre Pompidou propose de voir en ligne, pour prolonger la rétrospective qui lui était dédiée la semaine dernière, un entretien exclusif de la cinéaste baroudeuse.
Kelly Reichardt : « On est passé d’un monde de canoës à un monde de porte-conteneurs »
Dès son premier film River of Grass (1994), cette passionnée de photographie investit le road-movie, tord les codes de ce genre conquérant en filmant avec laconisme la fuite de Cozy (Lisa Bowman), jeune femme qui s’ennuie avec son mari et ne parvient pas à éprouver de l’amour pour ses enfants. Tourné en 16 mm, le film contient toutes les prémisses du cinéma sous forte influence expérimentale de Kelly Reichardt : montage nerveux, empathie pour des personnages mis en échec par la société, obsession pour le motif de la route – qui souvent ne mène nulle part . « Je l’ai financé avec ma carte de crédit (…) Larry Fessenden, qui joue dans le film, l’a monté tout en m’apprenant les techniques de montage et de conception sonore. On peut dire que j’ai appris sur le tas, pendant la production » , explique la réalisatrice.
En 2004, Kelly Reichardt adapte une nouvelle de Jonathan Raymond, Old Joy, dans lequel deux amis partis camper tentent de se retrouver au contact d’une nature perdue. Après ce film sur « le thème de la stagnation« , place en 2008 à Wendy et Lucy, dont la réalisatrice revendique la coloration politique : « A l’époque, la droite avait tendance à pointer du doigt les pauvres et les considérait comme un poids pour le pays. Sous l’ère Bush, si on n’avait pas réussi sa vie, c’est qu’on n’avait pas suivi les règles, ou qu’on n’avait pas saisi les opportunités qui s’étaient présentées ».
Pour Criterion, Kelly Reichardt dresse son top 10 de films préférés
Au cours de cet entretien, on découvre l’amour de Kelly Reichardt pour la recherche historique et la reconstitution – sur le tournage de La Dernière Piste (2011), son équipe a tenté de reproduire les gestes et outils des pionniers de l’Oregon du XIXe siècle -, mais aussi sa fascination pour les personnages déterminés, comme ceux de Night Moves (2013) dont les convictions écologiques mènent à une violence insoutenable.
La force de la communauté, les rapports de pouvoir et de fraternité, le capitalisme destructeur sont les thèmes qui traversent la filmographie humaniste de la cinéaste – jusqu’à First Cow (en salles en ce moment), qui raconte en 1820 le commerce de beignets de deux amis « que la misère rapproche » dans un monde régi par des trappeurs bourrus. « Ils unissent leur force et tentent de trouver leur place dans cet univers masculin », conclut la réalisatrice, décidément en avance dans la déconstruction des mythes et des assignations de genre.
Image : Capture d’écran Youtube Centre Pompidou