#1 Annie Girardot parle de l’invisibilisation des femmes de plus de 50 ans (1996)
“Je ne sais pas si j’ai manqué au cinéma mais moi, le cinéma m’a manqué, follement, éperdument, douloureusement.” Cette phrase prononcée des trémolos dans la voix par Annie Girardot – sacrée meilleure second rôle pour Les Misérables de Claude Lelouch – est devenue culte. Mais ce qui paraît être une simple déclaration d’amour au 7e art se révèle tout autre quand on jette un œil à la carrière d’Annie Girardot. Élevée au rang de star grâce à des films comme Rocco et ses frères (1960) ou Mourir d’aimer (1971), à partir des années 1980 – autrement dit, quand elle atteint les 50 ans – ses apparitions à l’écran se font plus rares et dans des rôles mineurs.
Ce phénomène – la disparition des actrices au cinéma passé un certain âge – a été analysé par l’association AAFA (Actrices & Acteurs de France Associés) grâce à un test : “le tunnel des 50 ans”. Le principe est très simple, un film doit simplement avoir un personnage de femme âgé de 50 ans (ou plus) et ce personnage doit avoir un nom (autre que “maman” ou “mamie”). Les résultats sont sans appel : entre 2015 et 2021, moins de 8% des films répondaient à ces critères.
Pourquoi cette invisibilisation ? Selon l’essayiste américaine Susan Sontag, cela peut s’expliquer par le « double standard du vieillissement » – théorisé dans un essai du même nom publié en 1972. Elle y explique que le rapport au vieillissement est bien plus cruel envers les femmes qu’envers les hommes. Passé la quarantaine, les hommes seront considérés comme plus « mûrs » ou « sages » tandis que les femmes auront perdu leur « fraîcheur » et leur « beauté ». Force est de constater que le monde du cinéma s’aligne sur ce mode de pensée : la carrière d’un actrice atteint son apogée à 32 ans contre 58 ans pour les acteurs selon Le Monde.
Heureusement, le César obtenu par Annie Girardot en 1996 lui a rouvert les portes des plateaux de tournage – elle aura d’ailleurs une deuxième statuette pour son rôle dans La Pianiste en 2002. Disparue en 2011, la grande actrice aura prouvé (comme elle le formule avec une émotion immense et contagieuse) qu’elle n’était pas « encore tout à fait morte« .
# 2 Jeanne Balibar devance #Balance ton porc (2010)
Voilà bien une des saynètes les plus surprenantes de la cérémonie des César. Chargée de remettre la récompense de la meilleure musique (qui reviendra à Armand Amar pour Le Concert), la fantasque Jeanne Balibar propose un intermède musical nommé “Baudelaire”. Mais difficile de rapprocher sa performance du poète romantique. Face à un auditoire mi-perplexe mi-amusé (à en croire l’expression d’Harrison Ford, présent pour le César d’honneur), elle répète sur un rythme lancinant “Tu es mon porc” en agrémentant ses paroles de grognement de cochon.
« Tu es mon porc sauvage. Tu es mon porc et partout les pores, je sens ton odeur sauvage quand tu penches sur moi et ne bouge plus du tout. Parce que c’est comme ça avec les porcs, quand ils ont vraiment très envie de toi' », chante-t-elle.
Si le message n’avait pas trouvé d’écho à l’époque (les lyrics ne dénoncent pas explicitement les comportements sexistes dans le monde du cinéma), il semble parfaitement annonciateur du mouvement #BalanceTonPorc, amorcé en 2017. Jeanne Balibar le sous-entend avec malice dans un post Instagram (qui nous en dit un peu plus sur les coulisses de sa performance inattendue).
“Le cinéma comme havre de rêve et porcherie tout à la fois… j’ai comme l’impression que maintenant on voit mieux ce que je voulais dire, back then en 2010. (« Allez tous avec moi! »😉) Merci à l’actuelle Académie des Césars de m’avoir fait parvenir cette video, elle était devenue introuvable…
Je me souviens qu’à l’époque, la direction des Césars avait essayé de faire couper le son à mon complice en coulisses qui pilotait le métronome, pour que je sois obligée de sortir de scène… Alors que moi ce que je pensais, c’est que pour que ce soit vraiment drôle il fallait que ce soit vraiment vrai, et que pour que ce soit vraiment vrai, il fallait que ce soit vraiment malaisant. Heureusement l’incorruptible Frédéric Soulard ne s’était pas laissé faire💥🧘♂️🔥”
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#3 Léa Drucker dédie son trophée aux femmes battues (2019)
Quand la 44e cérémonie des César a lieu, cela fait déjà un an et demi que le mouvement #Metoo – amorcé par le monde du cinéma suite à l’affaire Weinstein – ébranle la société occidentale. Sur Internet ou ailleurs, les langues se délient à propos des violences sexistes subies par les femmes, et le septième art s’empare de cette thématique pour la porter à l’écran. C’est dans ce contexte qu’arrive le premier long métrage puissant Jusqu’à la garde de Xavier Legrand, l’histoire d’une femme (incarnée par Léa Drucker) qui souhaite obtenir la garde son enfant pour le protéger de son mari violent.
Ce long métrage repartira de la cérémonie avec cinq César, dont celui du meilleur film et de la meilleure actrice – ce qui nous a valu un discours très touchant de la part de Léa Drucker : “Je voudrais dédier cette récompense à toutes ces femmes qui ne sont pas dans une fiction, qui sont dans cette tragique réalité.(…). Je pense à toutes celles qui sont parties, celles qui veulent partir, celles qui ne partiront pas, celles qui auraient dû partir. Je pense à elles et à toutes les personnes qui les accompagnent, leurs familles, leurs entourages et les associations qui ont trop peu de moyens et qu’il faut aider.”
#4 Aïssa Maïga met la “grande famille du cinéma” face à son manque de diversité (2020)
Sur les réseaux sociaux, certains ont critiqué ce discours “pas drôle” – sans se rendre compte qu’il ne s’agissait pas d’un sketch mais d’un véritable coup de gueule anti-raciste. Avec courage, l’actrice Aïssa Maïga confesse ne pas pouvoir s’empêcher de compter le nombre de personnes non-blanches présentes à chaque fois qu’elle entre dans une pièce. En ce jour de cérémonie, elle n’en dénombre que douze parmi les nommés.
Cette anecdote qui n’en est pas vraiment une n’avait pas seulement pour but de dénoncer l’absence de diversité dans le monde du cinéma mais aussi de pointer les représentations pleine de clichés des minorités : “On a survécu aux rôles de terroristes, aux rôles de femmes hypersexualisées. On refuse d’être les bons noirs, les bons asiatiques.”
Parti d’un incontestable constat, son discours de dénonciation s’ouvre à la fin sur une note engageante. “La bonne nouvelle, c’est que l’inclusion, on ne peut pas la faire sans vous – vous qui n’êtes pas forcément impactés par les questions liées à l’invisibilité ou aux stéréotypes. Donc, quand vous allez voir des équipes de tournage, des équipes techniques, des castings (…), pensez “inclusion”. Cela passera par vous car nous ne sommes pas assez nombreux. ”
Son appel se soldera par la remise du César du meilleur espoir féminin à Lyna Khoudri pour son rôle dans Papicha, film suivant l’histoire d’une jeune femme algérienne se battant contre les préjugés sexistes et religieux pour devenir styliste. Timing parfait.
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#5 César de Roman Polanski : Adèle Haenel se lève et se casse (2020)
“C’est la honte!” La phrase prononcée par l’actrice Adèle Haenel au moment où Roman Polanski obtient le César du meilleur réalisateur pour son film J’accuse, est restée dans les mémoires. Devant toutes les caméras, elle se lève et sort de la salle (accompagnée de l’équipe du film Portrait de la jeune fille en feu) pour protester contre la remise de ce trophée.
Pour rappel, Roman Polanski a été inculpé en 1977 aux Etats-Unis pour « détournement de mineure » sur la personne de Samantha Gailey, 13 ans à l’époque – cette dernière accusait le réalisateur de viol sous sédation. Condamné à trois mois de prison, puis libéré pour conduite exemplaire un peu plus d’un mois plus tard, Polanski s’enfuit à Paris la veille de l’audience d’un nouvel accord, apprenant que le juge voulait réviser le chef d’accusation et durcir sa peine. Depuis, onze autres femmes l’ont accusé, entre 2010 et 2017, de viols ou d’agressions sexuelles. Un mandat d’arrêt international est toujours en vigueur contre lui.
C’est ce sur quoi Adèle Haenel s’insurge en 2020. Hors champ, la maîtresse de cérémonie, Florence Foresti – qui avait pourtant tout fait pour désamorcer l’ambiance tendue grâce à un discours d’ouverture aussi hilarant qu’engagé -, a également quitté les lieux.
L’image d’Adèle Haenel sortant de la salle Pleyel a largement marqué les esprits – comme une ultime protestation. L’écrivaine Virginie Despentes lui consacrera d’ailleurs ces mots dans une lettre ouverte adressée “aux puissants” publiée par Libération : “ Ce soir du 28 février on n’a pas appris grand-chose qu’on ignorait sur la belle industrie du cinéma français par contre on a appris comment ça se porte, la robe de soirée. A la guerrière. La plus belle image en quarante-cinq ans de cérémonie – Adèle Haenel quand elle descend les escaliers pour sortir et qu’elle vous applaudit [cela fait référence à une vidéo exclusive de Paris Match où l’on voit l’actrice dans les couloirs de la salle Pleyel applaudir en criant ironiquement : “Bravo la pédophilie!”, ndlr] et désormais on sait comment ça marche, quelqu’un qui se casse et vous dit merde.”
Pour rappel, à cette période, l’actrice Adèle Haenel avait déjà fait connaître son engagement contre les violences sexistes et sexuelles – notamment en 2019 en confiant à Mediapart sa relation avec Christophe Ruggia, qu’elle accuse d' »attouchement » et de « harcèlement sexuel » sur le tournage du film Les Diables, alors qu’elle avait entre 12 et 14 ans. En 2020, le réalisateur a été mis en examen. Depuis le 8 février dernier, le parquet requiert un procès contre lui pour « agressions sexuelles sur mineur de 15 ans par personne ayant autorité sur la victime ».
L’actrice s’est retirée progressivement du monde du cinéma pour se consacrer au théâtre engagé.
Adèle Haenel explique son éloignement des plateaux de cinéma