CANNES 2023 · « Viva Varda ! » de Pierre-Henri Gibert : éternelle Agnès

En exhumant des archives publiques et privées d’Agnès Varda, disparue en 2019, ce documentaire incisif, présenté à Cannes Classics, dessine les contours d’une artiste à la complexité méconnue.


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Un paradoxe étreint le cœur dès les premières images : pourquoi a-t-on l’impression de connaître Agnès Varda, alors que son travail consiste précisément à refuser le solipsisme, l’introspection, à traquer l’altérité plutôt que la confession ? Dans Daguerréotypes (1975), elle donnait un visage aux commerçants anonymes de son quartier ; dans Sans toit ni loi (1985), elle confiait les premiers rôles à des vagabonds, des ouvriers immigrés, des marginaux. Sans doute est-ce cette galerie empathique qui nous donne le sentiment qu’Agnès Varda a été, elle aussi, notre voisine. Et on se trompe – ce superbe documentaire de Pierre-Henri Gibert nous le rappelle avec malignité. Agnès était une control freak – selon les dires même de sa fille, Rosalie Varda, productrice du film avec la société de production Ciné-Tamaris – une machine de guerre abrasive et indomptable, qui laissait rarement fuiter ses émotions.

RÉCIT: Une journée avec Agnès Varda

La cinéaste a longtemps gardé le monopole du commentaire sur son propre travail (Les Plages d’Agnès, ) – non pas par narcissisme, mais parce que comme le dit joliment Audrey Diwan, interviewée dans le film, il s’agissait d’un geste de survie, « une manière de se supporter ». Pierre-Henri Gibert démarre son film là où l’œuvre auto documentaire de Varda s’arrêtait, pour s’engouffrer dans ses interstices. Il déniche ses paradoxes – autoritaire et ultra-sensible, rebelle hors-système et business woman imparable -, ses secrets – elle hébergea des avortements chez elle -, ses coups de gueule – elle traita Truffaut de baratineur lorsqu’il lui proposer d’écrire aux Cahiers du cinéma. Jusqu’à écorcher l’image consensuelle que la réalisatrice avait acquise à la fin de sa vie. 

Soudain, par un montage impressionniste qui assume toute sa subjectivité, la vie d’Agnès Varda et les extraits de ses films se confondent, troublent la limpidité du récit de vie pour jeter un éclairage inattendu sur son œuvre. On se prend à considérer Le Bonheur, fable cruelle sur l’adultère, comme une utopie désespérée sur le polyamour et l’éclatement inéluctable de la famille nucléaire. La grand-mère de la Nouvelle Vague (c’est elle qui le dit, on ne lui piquera pas son panache), punk dans l’âme, farouche détractrice de La Mélodie du Bonheur(« L’histoire d’une boniche de 14 enfants qui se fait épouser pour continuer à s’occuper d’eux, sans être payée » selon elle), bosseuse plus que démiurge (« Une vocation, ça s’apprend »), était bien à l’avant-garde de cette Nouvelle Vague qui la sous-estima trop longtemps. En revoyant les extraits de La Pointe courte, son premier long tourné à Sète (« La Venise du pauvre ») en 1954, on ne peut que souscrire à la déclaration de Georges Sadoul, qui faisait démarrer le mouvement par ce premier film d’une liberté déconcertante. Refus de la psychologisation, inspiration picturale (Braque et Piero della Francesca) et narration chaotique empruntée à Faulkner : le monde de la modernité appartenait déjà à Varda. 

Image (c) CINETEVE

Le Festival de Cannes se tiendra cette année du 16 au 27 mai 2023.

ARCHIVE : souvenir de tournage du « Bonheur » d’Agnès Varda