« Mon histoire est simple », déclare l’adjugeant Galoup (Denis Lavant), ancien légionnaire déchu échoué à Marseille. Son histoire, elle commence sous le soleil terrassant de Djibouti, où il a autrefois entraîné un groupe de soldats. Le jour où une nouvelle recrue charismatique (Grégoire Colin, magnétique) rejoint les rangs et se distingue aux yeux du grand chef (Michel Subor), par ailleurs toxicomane, Galoup développe une jalousie teintée d’attraction refoulée pour le jeune homme…
Claire Denis : « Les femmes vont en chier, là, c’est sûr »
L’histoire est en effet « simple » – l’organisation militaire bouleversée par des amitiés et des rivalités -, mais il fallait le style saillant de Claire Denis pour y insuffler une ambiguïté féroce. La réalisatrice subvertit le matériau du film du guerre, en donnant aux entraînements rigides de ces éphèbes l’allure de ballets homoérotiques, en vidant l’effort physique de toute douleur, allant jusqu’à flirter avec la pure abstraction – les étendues désertiques apparaissent comme des surfaces miroitantes.
C’est qu’ici, tout n’est que mirage. Ces petits guerriers attendent un combat qui ne vient pas, déplacent des rochers dans le vide, pour se donner une consistance qui dissimule mal l’absurdité de leur mission. Face aux illusions qui tombent, deux paradis artificiels s’offrent à eux : la sensualité et la violence. Quand ils ne se jettent pas à corps perdu dans des conflits – capturés avec un calme glaçant, dans des tableaux figés, presque picturaux, d’où surgissent des membres amputés -, ils se muent en oiseaux de nuit, à la recherche de musique et de danse pour se souler. Claire Denis saisit avec fluidité ce mode de vie schizophrène, où la mort côtoie le plaisir avec une facilité indécente, où l’exaltation rencontre l’inertie militaire.
Si Beau Travail touche autant, c’est qu’il conjugue à la fois une grande ascèse dans sa mise en scène – mutisme, refus de la psychologisation, stylisation déroutante des espaces – et un éveil des sens. Grand film formaliste, il n’oublie jamais de ramener le spectateur vers la douceur et le désir, quand bien même ils prennent le visage de la cruauté.