L’histoire de la bande dessinée est celle de ses personnages : ouvrir un album c’est, bien souvent, retrouver les traits d’un visage. Au fil de ses albums – 676 apparitions de Killoffer (2002) ou Killoffer tel qu’en lui-même enfin (2015) –, l’auteur inclassable et cofondateur de L’Association creuse la question de son propre alter ego devenu, à force, un personnage de bande dessinée. Dans cet attachant En chair et en fer, le Killoffer dessiné vit dans un monde masqué où, même pour sortir acheter des clopes, il est suivi par un drone.
Dans cette courte dystopie quasi confinée, le personnage partage sa vie avec un robot aimable, amical, qui finit par dysfonctionner et mourir, littéralement. Triste, désabusé, noyant ses journées dans l’alcool et la coke, le double de Killoffer cherche un nouvel ami robot, sans trop de succès. Le récit, dont le point de départ est un livre du philosophe Dominique Lestel (Machines insurrectionnelles, Fayard, 2021) que Killofer a illustré, ne tombe pas dans la critique creuse d’un monde robotisé. Au contraire, par la maîtrise sidérante de la mise en page et d’un noir et blanc toujours plus abouti, la narration puise sa force dans la confrontation tendre entre le trop-plein de chair – autant dire de vie – et le manque de fer – pour tenter de vivre un peu mieux.
de Patrice Killoffer (Casterman, 56 p., 24 €)
Images (c) Casterman