Antoine Reinartz : « Le film ne traite pas d’une construction mais tout simplement de la naissance d’un désir »

Sur le fil en instituteur attentif à la situation précaire d’un jeune élève, Antoine Reinartz donne à « Petite nature », second film de Samuel Theis (« Party Girl »), une force d’impact remarquable. Rencontre avec un comédien dont le parcours se nourrit d’un goût certain pour les personnages qui accompagnent et transmettent.


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Quel rapport entreteniez-vous avec l’univers de Samuel Theis avant qu’il vous propose le rôle d’Adamski – instituteur muté de Lyon à Forbach – dans Petite nature ?

J’avais adoré Party Girl (premier long métrage de Samuel Theis, lauréat du Prix d’ensemble de la sélection et Caméra d’or à Un certain regard en 2014, Ndlr) ; l’univers m’était familier, étant donné que je suis originaire de Lorraine. Ce qui est fou avec ce film, c’est qu’il nous plonge dans un univers hyperréaliste et que, pourtant, on en ressort heureux. Je trouve que souvent dans les parcours de transfuges – comme ça peut être le cas chez Édouard Louis, par exemple –, il y a quelque chose d’un peu surplombant dans le regard. Ce n’est pas le cas chez Samuel. On sent qu’il a voulu quitter son milieu pour différentes raisons mais que lorsqu’il l’observe, ça se fait sans hiérarchie entre le milieu de départ et d’arrivée. La mère, les frères et sœurs qui évoluent dans Petite nature ont le même souffle, la même valeur, que n’importe quel autre personnage.

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Le rôle d’Adamski s’avère délicat ; il demande à la fois une grande retenue mais aussi quelque chose qui se brise par endroits, des brèches… Vous effrayait-il ?

Une version précédente du scénario allait plus loin dans le rapport entre Johnny, le jeune élève interprété par Aliocha Reinert, et Adamski, mon personnage. Samuel Theis a beaucoup réinterrogé son texte pour trouver le bon positionnement. Au final, il ne fallait pas qu’Adamski aille vers une quelconque entreprise de séduction car on suit le point de vue de Johnny et que c’est lui qui interprète mal la bienveillance de son instituteur à son égard.

Plus jeune, j’ai été président d’une association de soutien scolaire. J’y ai croisé des enfants qui rencontraient de grosses difficultés sociales et qui étaient en demande totale d’attention. Et puis, il y avait des élèves adorables, hyper scolaires, à qui l’on accordait moins d’attention, ce qui est hyper malsain… Samuel Theis est très attaché à l’idée d’affect et c’est ce qui est à l’œuvre dans le film. Cela dit, il faut veiller à ce que le fait qu’un enfant soit vraiment en difficulté ne prenne pas toute notre attention, il faut tenter de ne pas être injuste.

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Il y a quelque chose d’intellectuel dans le désir qui se développe chez Johnny envers Adamski…

Cet enseignant est tellement ancré dans sa vie, tellement bien là où il se trouve que c’est aussi ce qui crée du désir chez l’enfant… J’ai relu La Confusion des sentiments de Stefan Zweig. C’est beau, d’autant plus à une époque où l’on s’intéresse beaucoup au corps. Ici, le jeune garçon n’est pas dans un désir théorique, mais connaît une vraie stimulation physique, quelque chose qui le fait vibrer, jusque dans la lecture d’un poème à Adamski.

Le film ne traite pas d’une construction mais tout simplement de la naissance d’un désir. J’ai l’impression que souvent, à l’adolescence, on différencie les gens qui ont des vocations, des passions, qui savent ce qu’ils veulent faire, des autres. Ici, il y a cette idée que le désir peut naître ex nihilo. Au départ, Johnny est las, il ne rêve de rien, puis – au contact de cet instit’ – il devient fougueux, passionné. Je trouve assez rassurant de se dire que l’intérêt peut surgir comme ça…

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Comment avez-vous travaillé avec Aliocha Reinert sur ces échanges très intimes justement ?

Autant j’ai beaucoup vu Izïa Higelin, qui interprète ma femme, et je sais que les membres de la famille de Johnny se sont beaucoup rencontrés également, autant avec Aliocha, il était question de créer quelque chose d’un peu sauvage, de ne pas trop se connaître avant de jouer ensemble. C’était fichu d’entrée de jeu car il avait vu La vie scolaire (film de 2019 dans lequel Antoine Reinartz interprète l’un des rôles principaux, ndlr) ; le premier jour, il m’a sauté dessus en mode « Hey poto ! » (rires). Pour autant, il s’est montré hyperresponsabilisé, très professionnel, lors du tournage. Parfois – et ce sans manipulation aucune – on ne dit pas tout aux enfants sur un plateau pour ne pas projeter quoi que ce soit sur eux. Or, ici, ça n’a pas été nécessaire car Aliocha sentait tout.

Quel regard portez-vous sur cette question du désir qui surgit chez l’enfant, parfois très tôt ?

Il y a aujourd’hui une crispation autour de la sexualité, ce qui est normal. Il existe, notamment dans le milieu scolaire, des règles extrêmement claires sur le rapport de l’adulte à l’enfant. Quand, en revanche, l’enfant exprime du désir, on ne sait plus quoi faire, on ne sait pas dédramatiser la situation. Or, maintenant que l’on a tout fortifié, on devrait pouvoir se détendre un peu. Lorsqu’on a des enfants, la question du désir arrive relativement vite : comment gérer la masturbation, le désir qu’ils projettent sur certains adultes…

Le film donne l’impression d’une liberté de ton, de déplacement. Il y a même une brisure dans votre voix, quelque chose qui s’éraille, qui se questionne. Est-ce un film très écrit ou Samuel Theis a-t-il laissé beaucoup de place à l’improvisation ?

Le Conservatoire – qui est une excellente formation – joue beaucoup sur l’autorité de l’auteur et des mots de la phrase ; on nous apprend à respecter le texte à la virgule près avec l’idée que si l’auteur a écrit ça comme ça, c’est pour une raison précise, quitte à ce qu’au final, il y ait une distance totale entre le texte et nous, chose qui me terrifie.

Je disposais du scénario pour servir de relais à Samuel mais autrement il nous lisait la scène avant de tourner avec pour indication « Vous avez le canevas, vous prenez les mots que vous voulez, vous en enlevez d’autres…», et le film se construisait de cette manière. De mon côté, j’avais prévu un certain nombre d’improvisations pour que jaillissent des fulgurances.

Quels autres projets vous occupent en ce moment ?

Je tourne dans une série Netflix sur Bernard Tapie (interprété par Laurent Lafitte) avec Fabrice Luchini et dans Anatomie d’une chute, le nouveau film de Justine Triet, aux côtés de Swann Arlaud et Sandra Hüller (Toni Erdmann).

Portrait de Antoine Reinartz Guillaume Malheiro

Photogramme © 2021 AVENUE B PRODUCTIONS – FRANCE 3 CINEMA