MK2 CURIOSITY/ LE CINÉMA EN VERSION TRES ORIGINALE
Pour dénoncer la situation politique en Pologne en ce début des années 1980, Skolimowski prend de la distance en rejouant ce qui se passe dans son pays natal entre les murs d’un appartement londonien. Il s’agit aussi pour le réalisateur de raconter en filigrane l’histoire de son propre exil après la censure de son film Haut les mains, jugé anti-stalinien par le pouvoir. On ne s’étonnera donc pas que Skolimowski ait choisi son propre appartement de l’ouest londonien, alors en travaux, pour tourner cette fable sur la tyrannie, qui s’exerce aussi bien à l’Est que dans le monde occidental dans lequel il a trouvé refuge.
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Le mensonge par omission du contre-maître Novak, qui cache le coup d’Etat en Pologne à ses compatriotes ouvriers qu’il exploite pour rénover cet appartement, en rappellera un autre aux cinéphiles. Celui du machiavélique Marko qui, dans l’Undeground du franco-serbe Emir Kusturica, fait croire à ses camarades réfugiés dans une cave pour éviter les bombardements allemands que la guerre se poursuit alors que la paix est revenue en 1944.
Plutôt qu’une charge trop frontale, Skolimowski fait le choix de la subtilité et de la nuance, n’hésitant pas à interroger son travail de cinéaste en apparaissant dans le film sous les traits du riche patron polonais qui a envoyé les quatre autres travailler en Angleterre. Les trois ouvriers du film ont d’ailleurs véritablement travaillé à rénover l’appartement du cinéaste.
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Jerzy Skolimowski, savant conteur de récits autour de l’innocence perdue, a participé, dans les années 1960, au renouveau du cinéma polonais. Exilé en Angleterre à partir de 1981, le Polonais a signé des chefs-d’œuvre comme Le Départ en 1967, Travail au noir en 1982, ou, plus récemment, Eo, Prix du Jury au Festival de Cannes de 2022.
Au programme également :
Filmer, c’est lutter. mk2 Curiosity vous en donne la preuve cette semaine avec l’impressionnant Citizenfour (2014) de Laura Poitras qui, avant de suivre Nan Goldin dans Toute la beauté et le sang versé – sorti en salles la semaine dernière -, filmait le combat du lanceur d’alerte Edward Snowden contre un scandale d’espionnage mondial. Vous pourrez également découvrir une fiction rare, signée par l’immense documentariste Jean-Louis Comolli, décédé l’an passé, qui dénonce la terreur stalinienne dans un film d’espionnage avec Claude Brasseur et Jacques Dutronc (L’ombre rouge, 1981).
On vous propose aussi en exclusivité le film cannois inédit en salles d’Alexeï Guerman House Arrest (2001), qui dénonce avec subtilité la corruption et le totalitarisme de l’Etat russe. Sans oublier, pour varier les plaisirs, une rencontre avec Sophie Letourneur et son court-métrage Le marin masqué, une introspection mise en images de Joanna Hogg, une curiosité d’Abbas Kiarostami, le dernier épisode de Senses de Ryūsuke Hamaguchi et le film mystère.