À voir sur Arte : « Casa Susanna », le nouvel hymne à la sororité de Sébastien Lifshitz

Casa Susanna, c’est le nom d’un refuge dans lequel se réunissaient une communauté de femmes trans et d’hommes travestis à Hunter, dans l’État de New York, dans les années 1950-1960. Sébastien Lifshitz bouleverse en exhumant un pan oublié de mémoire queer.


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Ce qui force l’admiration dans le travail documentaire de Sébastien Lifshitz, c’est que celui-ci se connecte autant aux luttes LGBTQI+ d’aujourd’hui (dans Petite fille en 2020, il suivait le combat d’une petite fille trans pour s’imposer comme telle auprès de son école) qu’à celles qui les ont précédées. Casa Susanna est de cette veine plus mémorielle, comme un retour urgent vers un passé confisqué ou occulté, pour mesurer les progrès comme les retours en arrière car le trajet vers la reconnaissance des droits LGBTQI+ n’est pas linéaire, mais au contraire sinueux, discontinu.

La Casa Susanna a été cet espace safe, cette famille d’adoption au milieu des montagnes Catskills. Elle a été pensée par Susanna Valenti et sa femme Marie pour que les hommes travestis et les femmes trans puissent passer les weekends. Sébastien Lifshitz suit deux femmes trans octogénaires, Diane et Kate, alors qu’elles reviennent sur les lieux vides, et il y a quelque chose de poignant à voir grâce au cinéma leur mémoire en pleine ébullition. Car il y a peu de traces de cette époque, ces deux pionnières racontent qu’il était alors dangereux pour elles de se faire prendre en photo, les images pouvant être utilisées contre elles.

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Lifshitz parsème le récit de Diane et Kate de ces photos et films amateurs rares et peu vus. Cela interroge beaucoup sur la diffusion trop restreinte des archives LGBTQI+, sur l’accès à une mémoire placardisée – les deux héroïnes du film rappellent cette importance de transmission de l’histoire intime pour les jeunes générations. Elles racontent qu’à leur époque, elles ne pouvaient pas encore s’identifier comme trans – elles se voyaient comme travestis – parce que la dénomination courait trop peu, et qu’il n’y avait alors pas de figures d’identification qui auraient pu leur montrer le chemin.

Le parti-pris de Lishfshitz est donc d’aller vers la célébration, de chérir ces moments lumineux d’un passé communautaire.  Mais il n’occulte pas les drames pour autant. Il donne par exemple la parole à la fille d’un des hommes travestis de la Casa Susanna. Elle a le souvenir d’un père amer, qui ne s’aimait pas lui-même, souvent cruel avec elle.

Elle explique que la découverte de ce pan dissimulé de sa vie en tant que travesti l’a amenée à mieux le comprendre sans toutefois le pardonner. Elle l’a aussi apaisée, se rendant compte qu’il a pu parfois être heureux. L’appréhension du passé est complexe, semble-t-elle nous dire, mais c’est un passage obligé vers la réconciliation.

Le fait que Lifshitz, à travers ce film, évoque aussi justement les traces, l’héritage que les vies queer peuvent léguer à leurs proches comporte évidemment une part politique. Revendiquer cette idée de la transmission semble aujourd’hui fondamental à un moment où les esprits les plus réactionnaires voudraient refuser tout droit de filiation aux personnes trans.

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