La Mauvaise éducation
« La Visite », scène originelle de La Mauvaise Education
Il le précise dans la préface : Pedro Almodóvar n’a jamais voulu écrire son autobiographie. Mais la première de ses nouvelles dit tout de son processus créatif qui place le texte comme chaînon manquant entre ses souvenirs et leurs projections scénaristiques et cinématographiques. « La Visite » est une nouvelle écrite dans les années 1970 qui raconte comment Luis, un jeune garçon abusé par un prêtre va venir se venger sous les traits de la jeune femme sublime qu’elle est devenue. Vous l’avez ?
C’est évidemment dans La Mauvaise éducation en 2004 et sous les traits de l’acteur mexicain Gael Garcia Bernal qu’Almodóvar va sublimer ce traumatisme d’enfance en une fresque romanesque autour de la quête d’identité et de la vengeance. Si ce premier récit est un exemple évident, presque littéral, les suivants sont plus énigmatiques et compilent les obsessions et admirations du maître formant un corpus vivant qui mène tout droit à la matière première essentielle de son œuvre : la vie.
Tout sur ma mère
« Trop de changements de genre » et les influences assumées
Quand on évoque Tout sur ma mère, on pense souvent aux mélos US à la Douglas Sirk qui infusent le film mais la nouvelle « Trop de changements de genre » (20 pages sublimes, émouvantes et drôles qui dévoilent comme jamais son processus de création intime) met à jour les références qui ont été mixées dans la matrice du grand Pedro.
En plaçant au centre du récit un metteur en scène se rêvant cinéaste uni à un comédien de théâtre aspirant star de cinéma (figure récurrente comme dans Douleur et gloire), Almodóvar décortique sa passion pour Cocteau et La Voix humaine (qui deviendra son premier film tourné en anglais en 2020), pour Un tramway nommé désir de Tennessee Williams et pour le Opening Night de Cassavetes et Rowlands (matrices assumées de Tout sur ma mère) mais évoque aussi un auteur français sulfureux qu’il place au centre du jeu en une phrase : « Genet était un parfum dont nous enveloppions parfois ce que nous faisions.
Deux premiers films en costumes … mais jamais tournés
Almodóvar le précise dans son introduction, deux des nouvelles sont en fait les ébauches des deux premiers films qu’il aurait rêvé tourner et qui n’ont pas (encore) existé. Deux films en costumes bien trop chers à produire pour un réalisateur débutant dans le Madrid de la movida !
Dans « Jeanne, la belle au bois dément », la fille de la reine Isabelle, tombe dans un profond sommeil après s’être piquée en cousant, et, sauvée par le baiser d’un prince flamand, devient reine à son tour. Mais, une fois veuve, Jeanne se consacre à veiller le corps de son époux. Vue comme folle et bannie, elle n’en reviendra que plus forte faisant accepter sa folie au pays.
Version méta du conte de Perrault, le texte évoque à demi-mots la singularité de l’âme espagnole mise en sommeil par la dictature. « La Cérémonie du miroir », elle, met en scène un Dracula nihiliste devenu dévot dans un monastère. Ce comte beau et mystérieux suce le sang des plaies des christs en croix et réveille les désirs du recteur de l’institution religieuse. Du pur Almodóvar ! Un jour au cinéma ?
Plagié par David Fincher ?
Dans « Vie et mort de Miguel », on assiste à la naissance du héros, assisté d’un fossoyeur et né bien trop jeune, « 25 ans seulement ! » se lamente sa mère. En effet, toute sa vie se jouera à rebours : son assassinat, ses carrières d’acteur et d’écrivain, « sa naïveté croissante »…
Ce récit conceptuel et littéraire qui place Miguel au centre d’un monde qui pourrait rappeler celui du Truman Show (Peter Weir, 1998), autopsie d’un parcours de vie et évocation funèbre du destin, remixant les notions d’avenir et de passé vous en rappelle un autre ?
Pedro Almodóvar le confesse dans le livre : quand il découvre au cinéma L’Etrange histoire de Benjamin Button de David Fincher (2003, écrit par Eric Roth), il croit reconnaître son Miguel sous les traits de Brad Pitt mais se rend à l’évidence : ce texte de jeunesse qui retraçait alors son propre parcours d’artiste débutant en mal de reconnaissance n’avait jamais été publié…
Douleur et gloire
« Le Dernier rêve », tout sans ma mère
C’est l’un des grands drames de sa vie. Pedro Almodóvar a perdu sa mère en 1999, six mois après la sortie espagnole de Tout sur ma mère. Dans « Le Dernier rêve », courte nouvelle qui donne son titre au livre-recueil, le cinéaste raconte « le premier jour avec du soleil et sans ma mère », regrette de ne jamais avoir utilisé son nom complet comme elle l’aurait souhaité et évoque les derniers moments de la femme de sa vie.
S’il lui rendra hommage dans de nombreux films, et souvent sous les traits de Penelope Cruz, c’est dans son film-bilan Douleur et gloire (dans lequel on retrouve de nombreuses idées et ébauches présentes dans presque toutes les nouvelles du livre) que, 20 ans après, il racontera ses souvenirs d’enfance et le décès de sa mère. A la différence des autres, cette nouvelle est signée : Pedro Almodóvar Caballero…
: Le Dernier rêve de Pedro Almodóvar (Flammarion, 240 p., 21€)
Image de couverture : montage d’images du film Madres Paralelas (TROISCOULEURS)