Comment Krzysztof Kieślowski vous a-t-il présenté votre double rôle de Weronica et Véronique, la Polonaise et la Française, pour lequel vous avez obtenu le Prix d’interprétation à Cannes en 1991 ?
Il m’avait demandé : « As-tu déjà couru désespérément après quelque chose ? » C’était très important pour lui. On était allés dans un parc, il voulait voir comment je courais. Weronica, la Polonaise, elle court, elle court, c’est l’éclair. Après dix-neuf minutes, elle meurt. Pour me préparer, j’avais passé dix jours avec une famille polonaise, c’était une vie très différente de la mienne, c’était la levée du rideau de fer. Alors que Véronique, la Française, n’est pas du tout dans cette dynamique. Elle attend les signes, elle a besoin d’en recevoir.
Kieslowski, pas d’explication, des mystères
Dans Trois couleurs. Rouge, vous incarnez une jeune mannequin qui ramène une chienne blessée à son propriétaire (Jean-Louis Trintignant). Certains ont vu en ce dernier un alter ego de Kieślowski.
Kieślowski disait que cette rencontre est comme un dialogue entre une jeunesse idéalisée et une maturité blessée, déçue. La façon dont je parlais dans le film, c’était la sienne : cette économie de mots, cette manière de dire des choses qui dérangent pour déplacer, se rencontrer. Ce sont aussi des personnages dans le risque. Kieślowski aimait beaucoup parier, lancer une pièce au hasard. Le juge est tellement désagréable avec Valentine qu’on ne sait pas pourquoi elle revient : c’est toute l’histoire. Le film a pour thème la fraternité, et raconte la rencontre de deux personnes qui n’ont rien de semblable.
L’œuvre de Krzysztof Kieślowski est riche en thématiques existentielles. Était-il quelqu’un qui doutait, qui se posait beaucoup de questions ?
Il attendait de moi que j’aie ce regard-là. En fait c’était son regard à lui. Dans ses films, il y a aussi une part d’enfance. Je crois qu’il racontait que, enfant, il a beaucoup suivi son père tuberculeux de sanatorium en sanatorium. Il était solitaire, il lisait beaucoup et j’ai l’impression qu’il a eu une grande propension au questionnement. Quand on est enfant, on voit les étoiles et on n’a aucune idée de ce que c’est. On se dit qu’on appartient à un monde où il y a des questions. Il faisait un cinéma qui provoquait la question. Chaque situation était une provocation.
: Ressortie en salles de La Double Vie de Véronique et de la trilogie Trois couleurs en versions restaurées 4K inédites à partir du 6 octobre, et le 2 novembre en DVD et Combo Blu-Ray / Ultra HD HDR (Potemkine Films)
: Rétrospective Krzysztof Kieślowski, du 29 septembre au 25 octobre à la Cinémathèque française