Propulsé cinéaste le plus bankable d’Hollywood par le succès d’Animal House en 1978, John Landis a façonné le tandem comique moderne pendant une décennie frénétique, asseyant la suprématie de John Belushi et autres Harold Ramis ou Eddy Murphy sur les seventies (The Blues Brothers), puis les eighties (Un fauteuil pour deux, Un prince à New York). En parallèle, il s’est aussi installé en maître de l’horreur, réalisant le cultissime clip de Thriller pour Michael Jackson et Le Loup-garou de Londres (1981). Aujourd’hui, celui dont l’humour noir et scato fait désormais peur aux grands studios livre Cadavres à la pelle, une comédie macabre mâtinée de buddy movie, où deux grigous deviennent tueurs en série par appât du gain, afin de pourvoir en macchabées des scientifiques peu scrupuleux dans l’Écosse de la révolution industrielle, déjà en proie à la concupiscence capitaliste.
Survolté en interview, d’éclats de rire sonores en jurons paillards, John Landis est un animal rare, mélange de bonhomie joyeuse et de cinéphilie. À le voir s’animer ainsi, on imagine que le cinéma doit être pour lui un art vivant. Rencontre digressive, ponctuée d’anecdotes interminables sur Stanley Kubrick ou Judd Apatow et de blagues vaseuses (lorsque son portable vibre dans sa poche, il nous lance un tonitruant : « Sorry, it’s my penis! »), avec celui qui pratique, à la ville comme à l’écran, un humour de farces et attrapes.
Judd Apatow, la famille mode d’emploi
Vous êtes fan de Stanley Kubrick, pouvez-vous remonter à la source de cette passion?
Beaucoup de cinéastes se sentent floués par Kubrick, mais ils devraient être flattés: c’est Kubrick ! Les vingt premières minutes de The D.I. de Jack Webb [en 1957, ndlr] ont été entièrement copiées dans Full Metal Jacket, par exemple. Tout le monde est influencé par tout le monde. L’originalité, c’est full of shit. Le cinéma, ce n’est pas une question d’idées, mais d’exécution. Stanley n’était pas très sympathique, mes rencontres avec lui étaient pour le moins bizarres ; il m’a uniquement parlé d’argent. Je me souviens avoir vu 2001: l’odyssée de l’espace à minuit, sur Hollywood Boulevard, avec un jeune camarade dont le père était l’avocat de Kubrick. J’avais 16 ans, j’étais comme ça [il écarquille les yeux]. Ça m’arrive rarement, la dernière fois, c’était pour Morse de Tomas Alfredson.
Cadavres à la pelle marque votre retour à la comédie horrifique britannique, trente ans après Le Loup-garou de Londres.
Je suis allé visiter un peu par hasard les studios Ealing, le seul studio de cinéma à Londres intra muros. C’est une compagnie historique, qui a produit entre autres Noblesse oblige de Robert Hamer [1949] et The Ladykillers d’Alexander Mackendrick [1955]. Ils m’ont fait lire le script, qui m’a plu. Ce film a été fait avec très peu de moyens, à partir d’une histoire vraie très populaire en Grande-Bretagne. William Burke et William Hare [les deux héros du film, inspirés de personnages réels] étaient la lie de l’humanité. J’aime l’idée de rendre sympathiques ces deux sales types.
De votre premier long métrage, Schlock, au clip de Thriller, en passant par Le Loup-garou de Londres, vos films ont souvent témoigné d’une certaine sympathie pour les monstres…
Oui, c’est intéressant. Frankenstein, Quasimodo, la créature du lac noir ou le loup-garou… Je les aime parce que leur fragilité et leur isolement les rendent sympathiques. Pour Cadavres à la pelle, le parti pris de mise en scène était de tout montrer, y compris les meurtres. J’ai dit aux acteurs : « Vous êtes les méchants Laurel et Hardy. » Le personnage joué par Simon Pegg est le pire. L’autre est juste amoral, il fait du business, comme un politicien. Le film permet d’aborder des problématiques liées au progrès, à la technologie, à la science. J’en suis très content.
« En cloque, mode d’emploi ou Juno, c’est drôle, certes, mais c’est totalement réactionnaire ! »
Il y a aussi dans Cadavres à la pelle l’idée d’une transmission entre deux générations de comiques, de vous à Simon Pegg par exemple, qui est un fan de vos films.
Oui, c’est très étrange qu’il soit aussi fan ! Shut up, relax, quoi ! Bon, moi aussi je suis un fan, je suis né dans les années 1950… Le cinéma a cent ans, j’ai donc connu ceux qui l’ont inventé : je déjeunais avec Alfred Hitchcock, car nous avions des bureaux chez Universal. Frank Capra, Howard Hawks, Billy Wilder– qui était nasty but funny –, je les connaissais tous.
Les Blues Brothers, Un fauteuil pour deux, Cadavres à la pelle… Vous êtes un maître du duo comique. Que pensez-vous de la génération actuelle ?
C’est une idée très ancienne, voyez Abbott et Costello, Laurel et Hardy, Butch Cassidy et le Kid… Les films d’Adam Sandler sont assez infantiles, ceux de Judd Apatow traitent d’adolescents attardés : j’aime certains de ses films ; mais j’ai été parfois gêné par leur discours moral. Dans En cloque, mode d’emploi, comme d’ailleurs dans Juno de Jason Reitman, quel bullshit ! C’est drôle certes, mais c’est totalement réactionnaire ! On a un rapport sexuel non-protégé, la fille tombe enceinte et soit le garçon devient gentil et accepte l’enfant, soit on donne le bébé à adopter et tout le monde est heureux.
Ce sont les deux seules options possibles… What the fuck ? Dans Fast Times at Ridgemont High, un teen movie progressiste et futé [d’Amy Heckerling, sorti en 1982, ndlr], l’ado qui tombe enceinte se fait avorter. Quand on a fait Animal House, qui se termine de manière très chaotique, la politique des comédies seventies était anarchiste. On avait beaucoup plus de liberté, pas d’obligation de happy end, contrairement à Very Bad Trip de Todd Philips… Beaucoup de personnages d’aujourd’hui, comme ceux de Wayne’s World, sont des dérivés de Spicoli [joué par Sean Penn dans Fast Times at Ridgemont High, ndlr], l’ado qui fume des joints.
Vous avez débuté votre carrière en triant le courrier pour la Fox, avant de réaliser pour Universal le film le plus rentable pour la société jusque-là, Animal House. Quel rapport entretenez-vous aujourd’hui avec les grands studios?
La situation à Hollywood est problématique et globale : de grands conglomérats sont propriétaires des studios et aujourd’hui, c’est le goût supposé du plus grand nombre qui compte pour remplir les salles – donc pour mettre de l’argent dans un projet. Les années 1970, c’était une autre époque ! Les studios étaient dirigés par des individus en chair et en os, qu’on connaissait. Aujourd’hui tout est déshumanisé, voté par des comités, ce qui rend la subversion au sein du système de plus en plus retorse. J’aimerais retravailler avec un gros studio hollywoodien, mais je ne fais pas le genre de films qu’ils souhaitent produire. Joe Dante, John Carpenter, tous ces cinéastes que je fréquente travaillent peu en ce moment pour cette raison, quelle tristesse ! Les studios ont peur de nous.
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