France 3 rediffuse ce soir à 21h05 Gone Girl (2014), drame obsédant et tortueux de David Fincher qui nous avait accordé un entretien qu’on republie aujourd’hui, et dans lequel il se révélait aussi énigmatique que ses films.
Qu’est-il arrivé à Amy (Rosamund Pike), une jeune romancière disparue dans des circonstances inquiétantes le jour de son cinquième anniversaire de mariage? Pour épaissir le mystère, David Fincher (Seven, Fight Club, Zodiac…) bâtit un dédale de fausses pistes et de brusques révélations au centre duquel il lâche Nick (Ben Affleck), l’insaisissable époux d’Amy, bientôt soupçonné. Soutenu par une mise en scène implacable qui fait se télescoper les points de vue et les flash-back, Gone Girl est un passionnant thriller sur le mariage, cet enfer pavé de rancœur et de suspicion. Rencontre avec le réalisateur, aussi retors que son film.
L’intrigue de Gone Girl s’appuie sur une structure complexe comprenant des points de vue multiples, différents temps du récit, plusieurs voix off. Comment avez-vous abordé l’adaptation du roman avec son auteure, Gillian Flynn?
J’ai rencontré Gillian Flynn et l’on a commencé à parler des éléments du livre que nous voulions conserver. C’est un livre très dense, très feuillu même, et l’on a donc procédé par élagage, jusqu’à n’avoir plus qu’un tronc, une seule histoire à raconter. Cette histoire, c’est celle d’un mariage et de la façade narcissique que nous construisons pour séduire notre « âme sœur », à quel point tout cela devient épuisant et quels renoncements, quelles frustrations cela engendre.
C’est une vision plutôt cynique du mariage.
Non, cette vision me semble très réaliste. Le film comporte des éléments hyperboliques et absurdes, mais je pense que la colère qui habite les personnages, elle, est tout à fait réaliste. Quand les spectateurs rient devant certaines scènes, c’est parce que, d’une certaine manière, ils se reconnaissent.
Après Seven ou Zodiac, vous montrez une fois encore votre intérêt pour le thriller.
Je ne pense pas que Gone Girl soit un thriller. Il est divisé en trois parties distinctes, trois capsules de tonalités différentes : d’abord, jusqu’au retournement qui intervient à la moitié du film, on est dans le registre du mystère ; puis le film devient un thriller, qui tire vers l’absurde ; avant de se transformer finalement en satire. Je ne m’intéresse au thriller que s’il me permet d’atteindre la satire, de toucher au mystérieux. Et j’aime les histoires qui n’ont pas encore été racontées.
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Au début du film, Nick offre à sa sœur Margo un jeu de société Mastermind. Faut-il y voir un programme, une annonce de ce qui attend les protagonistes?
Oh God ! Non. Nick et Margo sont des jumeaux qui ont grandi ensemble. Cette scène pendant laquelle il lui apporte un cadeau qui s’avère être un jeu de société merdique et vieillot, c’était plutôt une manière, dès le début du film, d’évoquer leur passé commun et la relation qui les unit, à l’écart du mariage de Nick et de sa vie d’adulte. Ce n’est pas une façon lourde d’annoncer la suite du film. Cela dit, quand je raconte une histoire, je reste conscient en permanence que les spectateurs ont tendance à charger de sens la moindre chose que je filme. Comme, par exemple, lorsqu’un personnage sort un jeu Mastermind…
Dans Gone Girl, vous distillez les informations au compte-gouttes.
Je dois être très prudent avec ce que je décide de montrer au public, surtout dans un film comme celui-ci dans lequel les faits et gestes de chaque personnage sont scrutés en permanence. Je sais que les informations que je donne au spectateur seront prises en compte, et qu’elles mèneront à différents niveaux de compréhension. Au début du film, par exemple, quand Amy Dunne vient de disparaître, l’enquêtrice visite la maison du couple. Elle entre dans le bureau d’Amy et commence à fouiner dans des dossiers. L’un d’entre eux porte la mention «services de recouvrement». À ce moment-là, on voit Nick Dunne qui regarde ce qui se passe et qui s’écarte du mur contre lequel il était appuyé. On peut se dire que sa réaction cache quelque chose. Mais pour moi, ça signifie simplement qu’il n’est pas particulièrement fier de l’état de ses finances, qu’il n’a pas envie que la police sache qu’il a des paiements en retard. Une des choses intéressantes, dans un film qui se demande si oui ou non une femme est morte, c’est que la première réaction des spectateurs est de ne pas s’attacher à elle. Ils ne veulent pas prendre le risque qu’on retrouve son cadavre dans un baril à la moitié du film. Pendant la première partie de Gone Girl, les spectateurs sont dans cet état d’esprit, et vous ne pouvez rien y faire. Ils ne veulent pas passer de «Cette fille est vraiment géniale » à « Oh mon dieu ! Regarde, ils ont retrouvé sa tête».
Le personnage de Nick est difficile à cerner. Il paraît effacé, comme résigné. C’est notamment frappant lorsque les médias s’emparent de l’affaire : sa maison est assaillie par les journalistes, mais rien ne semble l’atteindre.
On parle ici d’un segment très réduit des médias, les vampires de la tragédie. Dans le film, les journalistes qui campent devant le domicile de Nick Dunne incarnent le genre de marée contre lequel on ne peut pas lutter. Ben Affleck a bien compris la fatalité à laquelle est confronté son personnage. Il est parfait dans le rôle du type qui sait que, dans ce genre de situation, votre colère, votre déni, votre abattement, votre résignation ne changeront strictement rien.
«Je hais le tournage. Se lever très tôt, être complètement épuisé, et devoir tirer le meilleur de l’équipe au quotidien. Tout en sachant que c’est impossible.»»
Quelle étape de la fabrication d’un film préférez-vous : le développement, le tournage, la postproduction?
J’adore le développement, le casting, les répétitions. J’adore tous les détails des costumes et des décors, les essais caméra… Je hais le tournage. Parce que ce ne sont que des compromis. Se lever très tôt, être complètement épuisé, savoir que tout le reste de l’équipe l’est aussi, et devoir tirer le meilleur de chacun au quotidien. Tout en sachant que c’est impossible. Puis vient la postproduction. Je blague toujours sur ça, mais c’est vrai : au montage, vous ne pouvez que rendre le film meilleur. Donc j’aime aussi beaucoup le montage.
«Votre film est une preuve de votre bêtise qui restera dans le temps. Vous avez donc plutôt envie qu’il soit bon. »
Vous êtes souvent décrit comme un metteur en scène perfectionniste, voire obsessionnel.
Les gens qui me trouvent perfectionniste sont probablement des fainéants. Ou alors ils n’ont jamais mis les pieds sur un plateau de tournage, ils ne savent pas à quel point c’est un bordel complet. Vous vous retrouvez avec tous ces gens qui ont des capacités intellectuelles différentes et qui sont issus de milieux socio-économiques variés. Tous ont reçu le même scénario, mais interprètent les choses différemment. Cela peut prendre sept ou huit prises pour que le perchman réussisse à se planquer dans un coin tout en suivant l’action, sans qu’on le voie dans le reflet de la fenêtre. Vous avez un temps très limité pour transformer vos intentions, vos idées de départ en un produit fini, pour toujours. Car votre film est une preuve de votre bêtise qui restera dans le temps. Vous avez donc plutôt envie qu’il soit bon.
Vous avez tourné avec une toute nouvelle caméra numérique, la RED Dragon 6K. Quel regard portez-vous sur l’évolution rapide des techniques de prise de vue?
Les caméras numériques vont devenir de plus en plus petites et efficaces, avec une plus grande latitude d’exposition, une meilleure définition… D’ici deux ans, elles seront sans doute aussi évoluées qu’elles ne pourront jamais l’être. Moi, j’attends avec impatience le jour où tout sera sans fil. Sur Gone Girl, je me suis disputé avec l’assistant caméra. Il réclamait un gros camion pour stocker ses outils, je lui ai demandé ce qu’il comptait réparer avec : les lentilles numériques haut de gamme, la caméra ? Non, il en est incapable. Il n’avait pas besoin de ses putains d’outils. Si ça ne marche pas, tu redémarres. Et si ça ne redémarre pas, tu prends une nouvelle caméra, point barre. Une caméra Panaflex 35mm coûte 400 000 dollars. Ces nouvelles caméras numériques coûtent 25000 dollars. Bientôt, les équipes de tournage devraient logiquement passer de soixante-quinze à vingt-cinq personnes. Et l’on pourra faire trois fois plus de films chaque année. Voilà le monde d’aujourd’hui, il faut vivre avec son temps.
Images : © 20th Century Fox
Image de couverture : Ben Affleck et David Fincher sur le tournage du film © 20th Century Fox