Vous tournez peu en tant qu’acteur. Pourtant, Incroyable mais vrai est votre deuxième film pour Quentin Dupieux, et vous avez rempilé dans Fumer fait tousser, présenté à Cannes en Séance de minuit. Qu’est-ce qu’il a de plus que les autres, Dupieux ?
Quand il vous propose un scénario, quand il vous en parle, vous avez déjà envie de le suivre. Il a une imagination, des idées qui n’appartiennent qu’à lui. Et puis il sait vous embarquer. Parce que, des mecs géniaux, il y en a ; mais des mecs géniaux aussi marrants, il y en a peu. Surtout, ce sont des tournages très joyeux. Je n’ai pas envie de faire des films dans des ambiances de merde, avec des réalisateurs pas bien malins qui se prennent pour des génies, ou avec des partenaires qui font des caprices pour savoir qui a la plus grosse loge. J’ai la chance de pouvoir m’éviter ça et d’avoir une carrière qui me permet de bosser avec des gens qui m’inspirent et qui me touchent. Quand Quentin me propose un film, j’ai la certitude que je ne vais pas perdre mon temps. Avec lui, il se passe toujours quelque chose. Pour lui, je suis même prêt à jouer un rat.
« Incroyable mais vrai » : la nouvelle fantaisie absurde de Quentin Dupieux
Vous incarnez plutôt le versant doux de la galaxie Dupieux. Que ce soit dans Réalité ou dans Incroyable mais vrai, vous traversez des tempêtes d’absurdités avec un calme, une douceur, une résignation qui détonne dans son cinéma…
Dans Fumer fait tousser, j’ai un rôle un peu particulier, mais, le mieux, c’est que le public le découvre par lui-même. C’est un tout petit rôle… Il y a des films de Dupieux pleins de cadavres et de trucs sanglants. Moi, j’ai toujours le droit aux névroses et aux prises de tête. Je ne sais pas vraiment pourquoi je lui inspire ça. Je suis assez calme dans la vie, c’est vrai. Et, comme les personnages de Réalité et d’Incroyable mais vrai, j’ai une assez bonne faculté à accepter les choses, même les plus dingues. J’ai toujours eu une tête un peu ahurie, j’ai toujours eu l’air un peu effaré dans les sketchs et dans les films.
Moi, la normalité du bizarre, ça me parle. J’aime quand l’incroyable, l’impensable, devient tout à coup logique. Je ne saurais pas jouer dans des films catastrophes ou des trucs avec des monstres dans lesquels il faut hurler et faire comme si c’était une question de vie ou de mort. J’aurais l’air con. Ce que j’adore, chez Quentin Dupieux, c’est que rien n’est efficace. Tout est déroutant. Son cinéma a beau être fantastique ou absurde, il est toujours hyper quotidien. Et Quentin tient à ça. Moi, je suis du genre à vouloir changer une réplique, chercher l’efficacité, la vanne, mais les textes de Quentin sont tellement précis, tellement écrits que je sais qu’il faut que je me laisse porter.
Quentin Dupieux sur « Mandibules » : « J’avais envie de faire un film vraiment con »
C’est difficile de se laisser filmer quand on est avant tout un réalisateur ?
J’aime faire les films de Quentin, parce que j’adore le regarder tourner. Sur le plateau, il invente, il cherche. C’est très organique. Moi, en tant qu’acteur, je suis au spectacle. Un champ-contrechamp, chez lui, ça devient toute une aventure. La moindre scène banale prend soudain, sur le plateau, une dimension folle. Dans Incroyable mais vrai, on a une scène, Léa Drucker et moi, chez le médecin. Franchement, 95 % des réalisateurs français mettraient le médecin derrière un bureau, nous devant, et hop ! champ-contrechamp, c’est réglé. Pas Quentin. Il déteste s’ennuyer sur un tournage. Alors, pour cette scène, il a construit tout un décor, il a posé sa caméra ailleurs. Son cinéma ne supporte pas l’ennui.
Comme le sien, votre cinéma a toujours eu lui aussi ce côté merveilleux…
Oui, mais, moi, je n’ai pas le rythme de production de Quentin. Je suis un besogneux, un lent. Je me prends trop la tête, aussi. La moindre ligne que j’écris, la moindre petite idée, je la tords dans tous les sens. Quentin a fait la paix avec ses angoisses. Ou, en tout cas, il a réussi à les mettre dans les films. Je me pose des milliards de questions, tout le temps. J’envie sa liberté, sa force de travail et sa capacité à prendre le cinéma pour ce qu’il est, un espace de création. Il invente, il cherche, il trouve. C’est lui qui a raison. Il y a quelque chose de très joyeux dans sa façon de faire du cinéma, dont on devrait tous s’inspirer. Le problème, c’est que, moi, dès que j’écris trois pages, le film coûte déjà vingt barres ! Donc forcément tout se complique… Avec moi, ça devient très vite le bordel. Il y a des effets spéciaux, des figurants, des comédiens partout, des décors…
Quentin Dupieux, comique cosmique
Vous rêveriez de réaliser un film par an, comme Dupieux ?
Je ne saurais pas le faire. L’énergie de Quentin me rappelle ce qu’on vivait sur Les Nuls, l’émission, où on était portés par l’envie d’inventer, de créer envers et contre tous. On avait une idée, elle nous faisait marrer, alors il fallait la faire. Quentin a cette liberté-là. Il arrive à faire une force des contraintes économiques. Il a intégré le chaos dans son cinéma. Je ne sais pas comment il fait. Moi, je n’arrive pas à créer par la contrainte. J’adorerais savoir tourner un film en quatre semaines avec une idée brillante, comme lui. Pour l’instant, je n’y arrive pas.
Vous êtes un acteur de comédie. Pourtant, vous n’avez pas du tout un jeu burlesque ou tout en force. Moins vous en faites, plus vous êtes drôle. Vous avez conscience de votre pouvoir comique naturel ?
Je n’ai pas toujours pris conscience du plaisir que je pouvais avoir à jouer. Avec Les Nuls, on était dans la performance, c’était du théâtre, c’était live. Le cinéma, je l’apprivoise un peu chaque fois. Je n’aime pas voir l’effort à l’écran, c’est un truc qui me sort du film. La moindre des choses, à l’écran, c’est que le spectateur n’ait pas l’impression de voir les virgules du scénario. Il faut que ça coule, que ça file. Les films avec des bons mots, si c’est mal dirigé et mal joué, c’est un peu un cauchemar. Tu ne vois plus le personnage, tu vois le mec avec sa clope et son café, devant son écran d’ordinateur, en train de taper, et qui se dit : « Ça, c’est drôle ; ça, ça va faire marrer les gens. » Il faut chercher les accidents au cinéma. Donc, pour répondre à votre question, je crois qu’il ne faut pas tout à fait savoir comment on fait rire pour pouvoir continuer à le faire. C’est un truc d’instinct, un truc physique, un truc de swing, qui tient aussi beaucoup au montage au cinéma.
C’est quoi, pour vous, une bonne histoire ?
Une histoire qui ne me lasse pas, alors que je sais que je vais passer deux ans de ma vie dessus. J’ai des dizaines de débuts de scénario qui ont fini au fond d’un tiroir parce qu’au bout d’un mois ou deux, déjà, moi, ça ne m’intéressait plus tellement. Alors, le spectateur… Après, de manière plus concrète, pour moi, une bonne histoire, c’est avant tout un point de vue. Je crois qu’on voit des films, on lit des livres, on va au spectacle pour voir le monde à travers les yeux d’un autre, non ? Je suis de plus en plus impressionné et fasciné par toute cette nouvelle génération du stand-up français, par exemple. Chaque fois, je me dis : « Putain, je n’avais pas pensé à ça, mais, en fait, si j’y avais pensé, j’aurais sûrement pensé ça ! » Pour moi, c’est ça, une bonne histoire : quelqu’un que tu ne connais pas te raconte un truc que tu pensais, sans le savoir.
Alain Chabat, quel cinéphile es-tu?
Le cinéma n’est pas très en forme en ce moment. Un film d’Alain Chabat, ça ferait du bien à tout le monde, non ?
C’est gentil. J’y pense. Et c’est bien, vous me mettez la pression, et ça m’a toujours boosté. Faut trouver la bonne idée. Je crois que, plus que jamais, aujourd’hui, le cinéma doit faire la différence. Il faut raconter des histoires qu’on n’a jamais vues, emmener les gens ailleurs. Qu’est-ce qui fait aujourd’hui qu’on se déplace dans une salle de cinéma pour voir un film ? Qu’est-ce qui donne envie ? La salle, aujourd’hui, pour beaucoup de gens, c’est une contrainte : ça demande d’être attentif, on ne peut pas faire ce qu’on veut, ça ne correspond pas à nos modes de vie. Mais ça veut dire que les films doivent être à la hauteur de ça. Quand j’ai commencé à faire des films, déjà je me posais la question de la nécessité de ce que je racontais. Aujourd’hui, c’est capital. C’est dix balles minimum, une place de cinéma. Ce n’est pas rien. Comment on fait pour donner aux gens l’envie de nous donner de leur temps et leur argent ? Le cinéma, c’est une promesse. Et il ne faut pas la trahir. Et, ça, j’y pense depuis Didier.
Avec Astérix et Obélix. Mission Cléopâtre (2002), Sur la piste du Marsupilami (2012) ou Santa & Cie (2017), vous avez réussi à faire du cinéma français à la fois populaire, merveilleux et ambitieux. Vous êtes un peu le Pixar français. C’est compliqué à faire aujourd’hui, ce type de cinéma ?
Ça a toujours été compliqué. Aujourd’hui, c’est juste qu’on ne vous pardonnera pas l’échec. Vous me comparez à Pixar, et c’est vraiment un super compliment, mais Pixar aussi c’est compliqué. Tout le monde attend constamment qu’ils se renouvellent. On n’a pas le droit à l’erreur quand on fait du cinéma cher comme je le fais. Là, j’ai en tête un projet de film que j’imagine pour le cinéma. Je ne peux rien vous en dire, je suis vraiment au tout début de l’écriture, mais j’ai envie de croire que ce type de cinéma populaire à grand spectacle est encore possible en France. C’est une idée un peu dingue, un truc qui me plaît pas mal, mais, encore une fois, je ne me suis pas simplifié la tâche. J’espère que ce projet arrivera au bout. Je bosse aussi sur une série animée, Astérix, pour Netflix, mais ça va prendre des mois pour la créer. Donc je vais avoir un peu de temps bientôt. C’est bon signe.
Incroyable mais vrai de Quentin Dupieux, Diaphana (1 h 14), sortie le 15 juin
Portrait (c) Julien Liénard pour TROISCOULEURS
Images (c) Diaphana