Vu au Festival du Film Fantastique de Gérardmer : « Piaffe » d’Ann Oren, au culot

Une bruiteuse de cinéma redécouvre son corps, après l’apparition d’une crinière dans son dos… Un récit merveilleux sur les puissances de la métamorphose, présenté en compétition officielle.


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Entre l’homme et l’animal, il n’y a parfois qu’un pas (de galop). Piaffe, premier long de la réalisatrice israélienne Ann Oren tourné en Allemagne, nous le rappelle avec un mélange de grâce et de bizarrerie salutaire. Il démarre sur les traces de Blow Out, thriller de Brian De Palma dans lequel un ingénieur du son découvrait (fantasmait ?) un meurtre grâce à un enregistrement. Pour mieux trouver sa propre voie, déroutante, quelque part entre fable érotique et conte sur la fluidité de l’identité.  

Eva (Simone Bucio, minois félin et silhouette rectiligne), bruiteuse, travaille sur le son d’une publicité pour un médicament contre les sautes d’humeur, Equili, qui met en scène une cavalière enfourchant sa monture. Noix de coco délicatement tapotées au sol, guirlandes frictionnées, chaîne malaxée dans la bouche… L’appartement de la jeune femme est un laboratoire auditif, un bloc d’opération où chaque bruit est disséqué jusqu’à l’assourdissement, un délicat capharnaüm destiné à reproduire la cadence et les respirations de l’animal.  

Comme une cinéaste qui se laisserait cannibaliser par son film – jolie métaphore de la voracité de l’image -, Eva devient littéralement son sujet. Elle se découvre une queue en bas du dos, puis une crinière. Sans l’ombre d’un doute, ni d’une honte, elle fait de cette anomalie anatomique un accessoire, exhibé sous son trench, sautille au rythme du trot dans la rue, adopte l’allure fière d’un canidé. 

Ici se noue l’originalité narrative de Piaffe. Là où beaucoup de récits de métamorphoses se déploient dans la souffrance, se confondent dans le dolorisme (les meilleurs films du genre, de La Mouche de David Cronenberg à La Féline de Jacques Tourneur, n’échappent pas à l’adage), celui-ci ouvre à un spectre infini de plaisirs non normatifs. Cette femme-cheval redécouvre l’érogénéité de son épiderme, la souplesse de sa musculature – Ann Oren filme cette renaissance dans des séquences de clubbing lentes et hyper stylisées, néons et musique soft techno en fond, investissant l’imaginaire de la culture underground pour montrer un personnage en train de performer son désir. Ironie du sort : dotée d’une queue, attribut symboliquement viril, Eva saisi la complexité de sa féminité.  

Une petite révolution des sens qui attirera l’attention d’un botaniste, spécialiste des fougères (plantes hermaphrodites, le détail est de taille), et donnera lieu à d’hypnotiques séquences d’amour exaltant la fusion des espèces et des genres. L’ambition formelle très cartésienne du film – lent, clinique, cérébral dans ses effets de répétitions et la composition millimétrée de ses plans – y rencontre alors une matière charnelle bouleversante.  

Piaffe d’Ann Oren, 1h26, sortie prochainement