« Trois kilomètres jusqu’à la fin du monde » d’Emanuel Parvu, prison dorée 

[CRITIQUE] D’un baiser clandestin entre deux garçons, le cinéaste, lauréat de la Queer Palm à Cannes cette année, déroule un récit sur l’implacable escalade de violence qui étreint un petit village roumain. Et épingle froidement l’homophobie ordinaire.


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Le troisième film d’Emanuel Parvu (repéré en tant qu’acteur dans Baccalauréat de Cristian Mungiu) pourrait aussi bien s’appeler Trois kilomètres jusqu’à la fin de l’humanité. Il est de ces films qui choisissent le cœur de l’été et de la beauté pour y loger, comme un ver dans un fruit pourri, toute l’abjection du monde. Soit un village de pêcheurs, à l’embranchement du Delta du Danube, cocon irréel fracassé par une sordide agression. Adi, 17 ans (Ciprian Chiujdea), s’est fait tabasser en sortie de boîte de nuit. Qui dit petit village dit entre-soi, dit enquête vite bouclée. Le père (Bogdan Dumitrache) et le chef de police (Valeriu Andriuta) retrouvent les deux brutes épaisses, qui avouent sans honte le délit, parce qu’Adi “est un pédé”. Ici débute, enrobée dans un calme et une normalité glaçante, l’insidieuse mécanique de persécution. Les parents, le curé, la communauté entière faisant corps pour étouffer l’affaire.  

Tout procède de la dissonance discrète, du heurt léger, dans ce film qui tient à distance son sujet, parfois au risque de la désincarnation. Emanuel Parvu filme ce paisible microcosme rural comme un jardin d’Eden perverti par la haine. La corruption généralisée, l’engrenage infernal du silence se blottit dans des plans surcadrés, qui se resserrent comme un étau sur des personnages réduits à des silhouettes fébriles. Enracinée au sol, la caméra devient l’œil terrible, le juge implacable d’une société engluée dans son archéisme. Quant aux lignes de fuite – vers la nature ondoyante, vers l’horizon trempé d’eau – elles sont une promesse impossible, un mirage rapidement dissipé. En faisant le choix de la soustraction plutôt que de l’addition – la violence est un éternel hors-champ – Emanuel Parvu signe un film carcéral à ciel ouvert, qui rappelle que l’intolérance a le visage de la banalité.  

Image : © Memento Distribution