« The Sweet East » de Sean Price Williams : Alice au pays des folies

[Critique] Anciennement chef-opérateur pour les frères Safdie, Sean Price Williams offre un premier long métrage picaresque, où une Alice des temps modernes vagabonde à travers la folie et les contradictions de l’Est américain.


zessdnuurf2g3npq featured the sweet east

Lillian, jeune lycéenne en voyage scolaire, s’engouffre dans un tunnel caché derrière le miroir des toilettes d’un bar. Telle « Alice au pays de l’Est américain », la jeune femme croisera, lors de sa fugue, une ribambelle de personnages représentant tour à tour la folie et les contradictions de la société américaine. C’est par exemple un fils à papa anarchiste, un groupe d’islamistes fans d’euro-dance retranchés dans les bois ou un prof d’université suprémaciste blanc, double à peine masqué de l’horrible Humbert Humbert du roman de Vladimir Nabokov, qui tente de la séquestrer.

Alice ou Lolita, ce personnage féminin égoïste et effronté, interprété par la jeune Talia Ryder à la beauté troublante, reste insaisissable pour le spectateur comme pour les personnages masculins qu’elle rencontre et qui projettent sur elle leurs névroses grotesques sans jamais réellement l’atteindre. Si Sean Price Williams porte un regard pessimiste sur la société américaine, il sous-entend également que la nouvelle génération est porteuse d’espoir, car c’est sous son regard insolent et blasé que se dévoile toute l’absurdité idéologique et politique d’un pays dont elle finit toujours par déjouer les pièges.

Une insolence et une liberté que le réalisateur applique aussi merveilleusement bien à l’image, en mettant au service de ce premier film en solo toutes ses compétences de grand chef-opérateur du cinéma indépendant américain (il a notamment travaillé avec les frères Safdie, Alex Ross Perry ou encore Abel Ferrara).

Avec son aspect volontairement artisanal, The Sweet East donne l’impression d’avoir été pensé ou rêvé par un groupe d’adolescents cinéphiles : de l’utilisation excessive de plongées et contre-plongées aux changements de séquences et de costumes sans queue ni tête, jusqu’à la participation épisodique de Jacob Elordi (histoire de dire), tout ça – bien sûr – filmé avec une bonne vieille caméra argentique. De ce désordre stylistique émerge un génial je-m’en-foutisme qui fait un pied de nez au film d’auteur classique et rend honneur aux adolescents qu’il filme.

The Sweet East de Sean Price Williams, Potemkine Films (1 h 44), sortie le 13 mars