« The Card Counter », retour en grâce d’un Paul Schrader en eaux troubles

Après l’excellent « Sur le chemin de la rédemption », l’éternel sale gosse du Nouvel Hollywood récidive avec un film d’une grande noirceur introspective et politique, glissant Oscar Isaac dans la peau d’un ancien tortionnaire d’Abou Ghraib addict aux jeux d’argent.


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Paul Schrader, outsider du cinéma américain, fait figure de résistant parmi les naufragés du Nouvel Hollywood, s’obstinant à poursuivre son œuvre depuis quarante ans – quitte à tourner le dos aux studios. C’est un loup solitaire, comme le héros du Taxi Driver de Martin Scorsese, qu’il a écrit en 1975 et qui n’a jamais cessé de nourrir son imaginaire de cinéaste. Dans The Card Counter, cette figure est incarnée par Oscar Isaac.

Dans la peau de Will, il campe un as des jeux d’argent qui, pour échapper à la culpabilité d’avoir perpétré des actes de torture sur les détenus irakiens d’Abou Ghraib, sillonne l’Amérique des casinos. À l’ivresse d’un univers interlope maintes fois célébré au cinéma, Schrader oppose la lugubre torpeur qui irriguait Light Sleeper en 1993, déjà hanté par les divagations mentales d’un héros en quête de rédemption. Radicalement anti-hollywoodien, The Card Counter montre l’Amérique à revers : le rigorisme de la mise en scène confine à une belle lenteur atmosphérique, tandis que le cinéaste pointe du doigt les travers autoritaires de son pays, ici liés à l’exaltation militariste la plus crasse.

S’oubliant dans le poker et le black-jack, Will n’est plus qu’un esprit algorithmique ; c’est qu’il joue moins pour l’argent, qui ne l’intéresse guère, que pour oublier un corps qui le dégoûte – celui qui a torturé. Comme souvent chez Schrader, la rédemption passera précisément par une collision avec d’autres corps : ceux qu’on veut sauver pour se sauver soi-même (ainsi de la rencontre avec le fils d’un autre tortionnaire, qui souhaite venger le destin tragique de son père en éliminant celui qui l’a enrôlé) ou bien ceux qui réveillent notre désir, comme celui d’une géniale reine des casinos avec qui Will fera affaire. Le film s’invente ainsi une improbable et réjouissante famille recomposée, chacun trouvant en l’autre un vrai point d’équilibre, l’art du cinéaste ayant rarement atteint un tel degré de plénitude.