« Tár » de Todd Field : symphonie paranoïaque

Cate Blanchett en célèbre cheffe d’orchestre lesbienne ? C’est un grand oui. Sauf que Todd Field use ici de l’indéniable charisme de l’actrice australienne non pour l’iconiser davantage, mais pour questionner avec acuité les notions de domination et de – réel ? – renversement du pouvoir post#MeToo.


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Todd Field nous avait laissés, il y a quinze ans, l’œil hagard et la perle de sueur au front avec le bien dérangeant Little Chil­dren. De cet amer drame en banlieue chic porté par Kate Winslet et Patrick Wilson, on se souvient particulièrement d’un personnage aux pulsions pédocriminelles qui, s’il parvenait à les réprimer, était dégoûté de lui-même au point de commettre un acte glaçant. Pour son nouveau film, le réalisateur braque ses phares sur un personnage a priori beaucoup moins problématique. A priori seulement.

Lydia Tár (Cate Blanchett), cheffe d’orchestre au sommet de sa carrière qui, quand elle ne voyage pas accompagnée de sa fidèle et énamourée assistante Francesca (Noémie Merlant), rejoint sa violoniste d’épouse Sharon (Nina Hoss) et leur adorable fille dans leur démentiel appartement berlinois. Une vie qu’elle mène comme ses orchestres, tambour battant, la réglant au millimètre près et la saupoudrant d’une bonne dose de culture, d’humour et de bon goût. Des morceaux de bravoure qui composent la première partie du film (Lydia Tár interviewée en public sur sa carrière, entre fausse décontraction et réel délire de maîtrise, ou donnant un cours plein d’emphase et d’autorité à ses élèves « wokes » de la prestigieuse Julliard School), il ne faut pas retenir chaque détail – même si certains auront une grande importance.

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L’héroïne, ses interlocuteurs et, bien sûr, le réalisateur se chargeront pour nous de les réagencer, comme les infinies variations d’une même symphonie, au fil de rumeurs malaisantes qui grossiront autour de la cheffe d’orchestre. Si la maestro a du talent et de l’ambition, elle ne peut pas, quoi qu’elle dise son élève, échapper à son identité de femme lesbienne quinquagénaire dans le contexte où elle est parvenue à se hisser – soit un système patriarcal basé sur la reproduction et qui peine toujours à se déverrouiller. On ne voit que Cate Blanchett capable d’un tel jeu basé sur la précision des gestes, l’ambiguïté des visages et les états paranoïaques. Et que Todd Field pour démasquer si finement les démons toujours tapis dans l’ombre depuis #MeToo.

Tár de Todd Field, Universal Pictures (2 h 38)

Image (c) Focus Features, LLC