« Pauvres créatures » de Yórgos Lánthimos, un Frankenstein féministe tordu et jubilatoire

[CRITIQUE] Avec son passionnant nouveau film, Lion d’or à la dernière Mostra de Venise, le toujours grinçant Yórgos Lánthimos donne sa version excentrique et ornementale de Frankenstein (1818) de Mary Shelley, avec une Emma Stone géniale, seule figure d’espérance dans un monde masculiniste empreint de cynisme et de noirceur.


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Après les déjà déstabilisants Mise à mort du cerf sacré (2017) et La Favorite (2019), Yórgos Lánthimos nous revient avec une esthétique surchargée, goth, sophistiquée, baveuse, qui tire tantôt vers les frères Quay, tantôt vers Eraserhead de David Lynch. Multipliant les prises de vue en fisheye, il nous présente un (vieux) monde distordu, ratatiné, déliquescent. Celui du grêlé docteur Godwin Baxter (Willem Dafoe) vu par les yeux de sa créature, Bella (Emma Stone), une femme suicidée ramenée à la vie, à laquelle le scientifique sans scrupule a greffé le cerveau du fœtus qu’elle portait. Bella a donc un corps d’adulte avec la conscience d’un embryon – ce Frankenstein version Lánthimos n’hésite pas à verser dans le douteux pour illustrer l’innocence bafouée.

« Mise à mort du cerf sacré » de Yorgos Lanthimos

Emma Stone, dont le jeu tout en saccades grimaçantes, au burlesque obscène et anarchisant, compose admirablement avec l’intériorité limitée de son personnage. On l’observe apprivoiser son environnement, accueillir son chaos sans peur des dangers, dans un mimétisme primaire des comportements brutaux de son créateur – qui la cloître dans son manoir poussiéreux. Ce n’est que lorsque ce dernier la laisse enfin s’échapper que Bella devient peu à peu une sorte de Candide chez les mascus, comme l’héroïne d’un conte déviant. Alors qu’elle se dépêtre avec le langage et avec son corps dont elle apprend à tirer toute la puissance, sans méchanceté elle met au jour l’idiotie et la petitesse des hommes, ces « pauvres créatures » qui veulent tour à tour la marier (parmi eux, Duncan Wedderburn, incarné par un Mark Ruffalo irrésistible en vieux beau piteux). Over-lookée avec ses incroyables robes aux épaules bouffantes, armée de sa curiosité indéfectible et de son regard avide, Bella, elle, explore ce monde bilieux avec gourmandise et, finalement, le réenchante un peu.

Pauvres créatures de Yórgos Lánthimos, Walt Disney (2 h 21), sortie le 17 janvier