Le film prend pourtant sa source dans les fantômes du passé, ceux de la guerre civile des années 30 : Janis, photographe de mode s’apprêtant à faire le deuil de son désir d’enfant, cherche à exhumer ses morts, tués pendant la guerre avant d’être injustement privés de sépulture. Elle tombe accidentellement enceinte de l’homme chargé du déterrement, au même titre que sa voisine de chambre, Ana, jeune fille à la vie familiale chaotique…
Avec la force tranquille de ceux qui n’ont plus rien à prouver, Almodóvar porte son art de conteur à des sommets de fluidité, faisant se télescoper petite et grande histoire dans un intense film sur la généalogie, celle d’un passé mortifère à reconstituer comme celle d’un futur à illuminer.
On pourrait même parler d’embrasement, tant Madres Paralelas s’inscrit dans une démarche subversive : tout le talent pictural d’Almodovar y est mis à profit, entre plans ultra composés et intérieurs de parfaites housewives, dont les teintes acidulées évoquent une forme de toxicité illusoire.
Car il faut peu de temps au cinéaste pour en dynamiter les fondations, non plus architecturales mais carrément biologiques, Janis s’apercevant que son bébé et celui d’Ana ont été échangés à la naissance. Qu’est-ce qui conditionne alors le statut de mère ?
Pour éclaircir son propos, Almodóvar a la lumineuse idée de départir ses héroïnes d’un entourage familial plus qu’étouffant, qu’il soit hanté par la mort ou qu’il fasse preuve de négligence ; ses madres à lui sont des figures d’émancipation. Une liberté forcée, souhaitée ou bien les deux à la fois, par ailleurs jamais subordonnée au désir des pères – autres grands absents du film.
C’est que le lien unissant Janis et Ana est indéfectible, éternel et donc généalogique, en dépit de « liens du sang » auxquels le cinéaste ne croit pas beaucoup ; de ces femmes de notre temps, il fait ainsi les sublimes exploratrices d’un territoire à l’avant-garde de la parentalité, débarrassé des assignations biologiques et des normes sexuelles.
Voilà ce qui rend Madres Paralelas si galvanisant : alors qu’il aurait pu se contenter d’un mélo de facture classique, Almodóvar creuse les contours de son sujet jusqu’à la moelle d’une histoire universelle dont il filme admirablement la généalogie retrouvée, non pas pour renouer avec son modèle mais pour aller enfin de l’avant et, peut-être, faire histoire à notre tour.
Le film sortira en salles le 1er décembre.