« L’Empire » : l’odyssée spatiale délirante de Bruno Dumont

[Critique] Pour son douzième long métrage, Bruno Dumont réalise son « Star Wars » made in France et délivre une odyssée spatiale perchée, inventive et radicalement connectée au présent. Servi par un casting ébouriffant, « L’Empire » fait s’affronter le bien et le mal pour mieux sauvegarder l’humanité.


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« Les humains sont attachants. Et si cocasses », dit la reine du bien (Camille Cottin) à sa jeune disciple, élue envoyée sur Terre pour vaincre les forces du mal (Anamaria Vartolomei, actrice dont l’absorption dans l’univers dumontien s’opère avec une agilité déconcertante tant elle évite toute idée de performance et de travestissement). D’humanité, il a toujours été question dans le cinéma de celui qui, depuis plus de vingt ans, transfigure son Nord natal en un vaste territoire de fiction (notamment dans la série P’tit Quinquin). Dans les mots du bien, ce sont évidemment ceux du cinéaste que l’on croirait entendre tant celui-ci s’est obsédé à filmer la noirceur et la lumière de ce qui fait et défait l’humain.

Avec L’Empire, Bruno Dumont revient aux origines avec ce qu’il définit comme « la présuite » de sa Vie de Jésus, son premier long sorti en 1997, le « péplum » de Freddy, ici devenu la personnification du mal (le novice Brandon Vlieghe). À Dumont de s’approprier l’argument SF pour réaliser son odyssée spatiale, sa Guerre des étoiles prise dans les largeurs du CinémaScope, sur un monde antispectaculaire (cet art de la soustraction qui fait son empreinte) mais généreux en artifices et visions hallucinées. Sur cette Terre bleue, vastes plaines et bords de mer du Pas-de-Calais bercés d’austérité, le bien et le mal se toisent plus qu’ils ne s’affrontent, se séduisent pour mieux se repousser.

Dans ce va-et-vient, indécisions, résistance et tentation de succomber, Dumont réaffirme ce qui rend son cinéma inconfortable et sidérant, et insiste une nouvelle fois sur le refus de trancher net dans la question des pôles opposés. Choisir un camp ou l’autre ? Dumont choisit l’entièreté, le tout (le mélange des jeux, des genres et des registres qu’on croyait incompatibles), invoque Daech et l’Église catholique, le païen et le sacré, l’élévation et le trivial, la tendresse et la cruauté, le plus et le moins. Là demeure l’équation si périlleuse de son cinéma, le mariage de ce qui se rencontre et s’annule. Dans L’Empire, les véritables humains sont les figurants de cette bataille idéologique, qui au fond n’est sans doute qu’une pure fiction (politique).

Bruno Dumont : « France a plein de défauts, mais je la glorifie »

L’Empire de Bruno Dumont, ARP Sélection (1 h 50), sortie le 21 février