Égaré en pleine forêt alors qu’il revient d’une mission diplomatique, privé de son escorte et ses bagages pillés, le marquis d’Urfé (Kacey Mottet Klein), noble émissaire du roi de France, trouve abri chez le vieux Gorcha. Parti défendre son peuple contre l’attaquant turc, celui-ci a demandé à sa famille de le considérer comme mort s’il ne revenait pas sous sept jours. Or, le temps est écoulé et voilà qu’une créature décharnée apparaît à l’orée du bois, un « vourdalak » venu sucer le sang de ses proches…
Adapté d’une nouvelle d’Alexis Tolstoï, Le Vourdalak est à bien des endroits affaire d’hypnose, et puis d’attraction fatale, une chose curieuse qui captive le spectateur par les mille artifices du cinéma. Là, le chant d’une sirène aux pieds frêles (Ariane Labed) ; ici, le scintillement d’un bijou pendu à l’oreille d’un éphèbe au pâle sourire (Vassili Schneider) ; là encore, une marionnette aux nobles allures de momie. À la manière du marquis perdu dans une région de Serbie où le soleil ne semble jamais poindre, l’œil du spectateur cherche la lumière, mais ne trouve que la fragile lueur des bougies. Puis se laisse goulûment emporter par les ténèbres tant le décor de cette fable horrifique est merveilleux.
En effet, une fois installé dans la modeste demeure de Gorcha, le gentilhomme se laisse aller au plaisir dégoulinant de l’étrangeté, ce qui sert d’ailleurs de socle à de nombreuses scènes comiques. Les repas, l’accoutrement, les attitudes, le maniement de la langue… Tout est une découverte pour celui qui vit dans un éternel bal à la cour du roi de France. C’est cette même voracité qui parcourt le film, volontaire qu’il est à convoquer ses références, mais aussi à affirmer un look très artisanal, sous sa pellicule Super 16 et sa séduisante marionnette. Sculpté et manipulé par le réalisateur, qui lui prête même sa voix, ce vampire squelettique au ricanement facétieux amène une poésie dans laquelle s’écrivent les jeux de l’enfance et le plaisir premier du cinéma.
Trois questions à Adrien Beau
Le film, contrairement à la nouvelle, réécrit un monde dont on ne veut plus…
J’y lis le patriarcat qui ne veut pas mourir, à travers un personnage qui est censé avoir péri, mais qui revient. Le film montre les personnages prisonniers de codes et de leurs corps, têtes baissées et mains jointes dès qu’ils sont en présence du père. Mon coscénariste, Hadrien Bouvier, et moi, on a débarrassé Sdenka, la sœur, de l’image d’oie blanche que lui donne la nouvelle pour faire endosser cette naïveté au marquis.
Justement, Sdenka, qu’interprète Ariane Labed, s’exprime plus par le geste que par les mots et fait presque figure d’apparition…
On l’a pensée comme un spectre avec son éternelle robe de mariée, comme si elle attendait son bien-aimé dans les bois depuis toujours, une héroïne tragique comme chez Jean Racine, capable de s’adresser à une falaise. Ariane est aussi danseuse, ce qui a permis un travail sur le corps et les regards.
Votre film fourmille d’inspirations tout en trouvant une singularité dans sa forme. Quelles œuvres ont jalonné sa conception ?
J’aime les références écorchées et grandiloquentes. Ici, le marquis d’Urfé est directement inspiré du Casanova de Federico Fellini, il y a du Meurtre dans un jardin anglais de Peter Greenaway dans la façon dont j’aborde la forêt, et puis j’ai énormément admiré Tim Burton plus jeune dans sa capacité à fabriquer des univers où rien n’était laissé au hasard.
Le Vourdalak d’Adrien Beau, The Jokers / Les Bookmakers (1h30), sortie le 25 octobre.