Le douzième film d’Hayao Miyazaki s’ouvre comme une béance, dans la fureur d’un incendie. Au milieu des flammes et des cendres, crayonnées d’un trait nerveux, Mahito voit sa mère brûler. Cette image liminaire le poursuivra jusqu’au manoir où il déménage avec son père et sa belle-mère loin de Tokyo – bâtisse dont le maître des lieux est un héron cendré, qui, tel un Cerbère, lui propose de voyager au royaume des morts pour retrouver l’être perdu.
Voilà notre héros carrollien jeté dans un au-delà que Miyazaki bâti, en architecture vorace, comme un espace multidimensionnel, saccadé de détails luxuriants. Ça grouille de ciels apocalyptiques, de portes millénaires, qui convoquent autant les mirages visuels de Salvador Dalí et le baroque excessif de Satoshi Kon que les métamorphoses d’Ovide – grâce à un dessin malléable, les créatures se liquéfient, les corps se dérobent, les objets du quotidien recèlent une bizarrerie.
Cette inquiétante étrangeté trouve sa forme la plus aboutie dans un bestiaire hybride, qui agite le spectre de nos peurs enfantines. Miyazaki y convoque des créatures naïves et familières – des perruches-doudous aux couleurs pastel – pour mieux les transformer en soldats monstrueux. Tout comme on découvrira que de belles cigognes, censées porter les bébés dans l’imaginaire traditionnel occidental, dévorent les warawaras, petites boules blanches destinées à peupler la terre…
Si cette cosmogonie revisitée est propre au cinéma de Miyazaki, elle prend ici une coloration très cruelle. D’où l’irruption, au cœur de ce récit d’apprentissage bariolé, de saillies horrifiques – notamment un face à face entre Mahito et une cigogne agonisante, filmée dans le déclin du jour. En embrassant l’âpreté qui traverse en filigrane toute son œuvre, Miyazaki signe un récit éclatant de noirceur sur les portes de l’inframonde, celles que Mahito laisse ouvertes pour se réconcilier avec ses morts.
Le Garçon et le héron d’Hayao Miyazaki (Wild Bunch, 2h04), sortie le 1er novembre
Image (c) Wild Bunch