Carla Nowak est la professeure de mathématiques que tous les enfants aimeraient avoir et dont tous les parents rêvent pour leurs enfants. De celles qui imposent leur autorité calmement, à la manière d’une cheffe d’orchestre dont elle adopte même les gestes au début de ses cours. Qui obtient des résultats à la bienveillance. Qui défend les jeunes lorsqu’une série de vols amène le corps enseignant du lycée dans lequel elle travaille à en soupçonner certains.
Après avoir surpris l’une de ses collègues la main dans une petite tirelire collective en salle des profs, Carla décide de monter un piège et de laisser tourner la webcam de son ordinateur pour confondre le ou la responsable. Mais, si son intuition se révèle exacte, et que c’est bien un membre du personnel que les images permettent d’identifier, l’issue de cette enquête très personnelle lui échappe rapidement…
L’histoire de La Salle des profs est celle d’un orchestre qui se fait peu à peu dissonant et n’obéit plus à sa cheffe. En choisissant de ne quasiment jamais quitter les murs de béton froids du lycée qui lui sert de décor, le cinéaste fait du cadre scolaire un microcosme à part entière, miroir des névroses de l’époque. On y croise le racisme si intégré qu’il en devient inconscient, la pression de la performance au travail, mais aussi le vacarme des fausses informations et des rumeurs qui mènent à la haine et au harcèlement.
Filmé caméra à l’épaule sur une bande-son aussi nerveuse que ses personnages, La Salle des profs revêt moins les attraits du drame social que du thriller. C’est là le grand talent du réalisateur d’origine turque : embarquer ses spectateurs dans le tourbillon de Carla Nowak pour les lâcher, exsangues, incapables de rattraper la mesure ni, et c’est sûrement là le plus glaçant, de déterminer comment retrouver un semblant d’harmonie.
La salle des profs d’İlker Çatak, Tandem (1 h 39), sortie le 6 mars.
TROIS QUESTIONS À ILKER ÇATAK
Pourquoi avoir choisi le cadre scolaire alors que le film traite de thèmes bien plus larges que l’éducation ?
L’école est un terrain de jeu intéressant : vous avez une ancienne et une jeune génération, des dynamiques de pouvoir et une société miniature. L’idée m’est aussi venue car mon coscénariste et moi sommes allés à l’école ensemble. Nous avons vécu un incident similaire à celui décrit dans le film. Une vingtaine d’années plus tard, on s’est dit que c’était un bon point de départ.
Pourquoi avoir opté pour une image au format 4/3 ?
Ma directrice de la photographie, et moi avons fait des tests avec différentes focales, différents formats, que nous avons regardés dans un cinéma. On s’est accordé sur le 4/3 parce que c’est une bonne façon de dépeindre des personnages et cela ressemble au polaroïd. C’était aussi quelque chose que nous n’avions jamais fait et nous essayons de garder un regard neuf.
Votre film reste dans une « zone grise » sans prendre parti…
Il n’y a jamais de vérité absolue. Même Carla, qui dit à ses élèves que l’honnêteté est cruciale, commence à mentir. Ne pas répondre à la question de qui est coupable oblige le spectateur à réfléchir plus avant. Le film parle du besoin de la société d’avoir un bouc émissaire et comment un système sacrifie l’un de ses pions pour continuer de fonctionner.