Dans un bus plein à craquer, des passagers aux mines revêches parlent la même langue, mais n’ont pas l’air de se comprendre. Le dénommé Petrov est pris de fièvre. Entre deux quintes de toux, le voici témoin d’une scène ubuesque entre une gamine et un vieux misogyne qui éructe des propos grossiers avant de perdre son dentier. Après avoir ramassé la mâchoire du malotru, Petrov descend du bus et s’en va rejoindre un ami alcoolisé à bord d’un corbillard. Des teintes grisâtres et verdâtres se succèdent, puis la nuit s’étire vers d’autres bribes de récits, cauchemars libérateurs et riches de mille idées visuelles (changement total de décor le temps d’un raccord de plans, flash-back en caméra subjective…).
Dès lors, le réel de cette Russie-là n’est plus qu’une grande marmite bouillante où les désirs et les souvenirs des personnages s’entremêlent avec autant de rage que de douceur. Interdit de sortie du territoire à la suite d’une condamnation ultra controversée pour fraude, Serebrennikov met en scène l’errance d’un homme et de sa famille au sein d’un espace de création contaminé. Stupéfiant bal des ivrognes et des âmes égarées, ce film n’a pourtant rien d’une complainte. C’est une déflagration.
La Fièvre de Petrov de Kirill Serebrennikov, Bac Films (2 h 25), sortie le 1er décembre.
Image (c) Bac Films