Le film a remporté le Prix spécial du jury à la Mostra de Venise.
Dès les premiers plans d’Il Buco, c’est comme si le cinéaste revenait à l’endroit de son génial Le Quattro Volte (2010), ovni empreint d’animisme qui, en une suite de vues muettes, captait quelque chose de l’harmonie du vivant : même village isolé dans les montagnes italiennes, même attention au lyrisme naturel des décors, même lenteur hypnotique, même économie de personnages. Ceux-ci ne sont d’ailleurs pas envisagés comme tel, à moins que chez Frammartino, et c’est sa plus grande singularité, tout devienne personnage ; hommes et bêtes, végétaux et minéraux, les éléments sont observés avec la même curiosité, la même attention.
Contre l’anthropocentrisme, son cinéma semble vouloir s’attarder sur ce que la majorité des films négligent. Tout logiquement, le langage humain y est donc privé du sens de la parole, n’y subsistant plus que quelques onomatopées et la texture des voix. C’est d’ailleurs ce qui hante l’espace d’Il Buco : d’abord le cri d’un vieux berger appelant ses bêtes, puis les rires juvéniles, fondus dans l’atmosphère sonore du paysage, d’une bande de spéléologues débarqués là. Ayant installé leur campement dans la plaine où se trouve l’une des plus grandes cavités souterraines au monde, leur exploration de cet abîme rocheux constitue le cœur du film – événement réellement survenu en 1961 – mais, ce qui intéresse le cinéaste, c’est à quel point cela met nos sens en éveil ; il s’agit d’habituer nos yeux à lire dans l’obscurité, à se fier au son d’objets qu’on y lance afin d’appréhender la profondeur, etc.
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Plus encore, la division du film en deux segments parallèles (celui de la spéléologie dialoguant avec celui, autrement plus trouble, de la dégénérescence physique du berger du village) l’éclaire d’une lumière inédite : qu’il s’agisse de la terre ou du corps humain, le but du cinéaste est de filmer la nature dans ce qu’elle a de plus intérieur, de plus souterrain. C’est que Frammartino lui-même s’inscrit en explorateur : comme ces spéléologues qui éclairent de leurs lampes l’obscurité, il traque l’invisible – ou plutôt l’indicible – pour en transposer enfin la grande beauté de cinéma. Sans oublier d’en tirer une nostalgie personnelle, le cinéaste illustrant la charnière entre une époque immémoriale et les multiples bouleversements des années 60, un portrait de JFK s’immisçant déjà jusqu’au fond de la grotte…
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