BLUISH de Lilith Kraxner et Milena Czernovsky
En anglais, Bluish signifie « bleuâtre » ou « bleuté ». Pour leur deuxième long métrage, Lilith Kraxner et Milena Czernovsky appliquent la formule chromatique à l’ensemble de leur film qui, dans le soin apporté à la décomposition des gestes et à leurs répétitions, trouve ses inspirations du côté d’un cinéma proche de Chantal Akerman ou d’Angela Schanelec. C’est ainsi que le film avance, au gré de ses variations de couleurs, passant des yeux bleus de l’une de ses jeunes protagonistes au bleu profond et translucide d’une piscine ou à celui d’un vernis à ongle. Le film se laisse appréhender de la même manière, par un jeu de correspondances muettes, comme un tableau impressionniste, préférant aux mots la gravité gracieuse de quotidiennetés filmées par le duo autrichien comme de furtives et sublimes élévations. Le motif de l’eau irrigue Bluish comme pour lier les existences séparées de ses deux héroïnes dont la vie est commentée par un trio de femmes âgées, chœur antique du film. C’est ainsi que Bluish sécrète son énigme, peut-être la plus grande, celle d’une identité en construction, prête à s’épanouir dans les doutes, le tâtonnement, le silence d’un regard échangé. L’état d’engourdissement dans lequel nous plonge le film devient plus vibrant encore quand se profile à l’horizon le présage d’un réveil.
Le film, qui n’a pas encore de date de sortie, a reçu le Grand Prix de la Compétition internationale.
VOYAGE AU BORD DE LA GUERRE d’Antonin Peretjatko
Après Les Rendez-vous du samedi (2021) consacré au mouvement des Gilets jaunes, Antonin Peretjatko revient au documentaire avec Voyage au bord de la guerre, titre clin d’œil au célèbre film de Michael Cimino, Voyage au bout de l’enfer. Le film se déploie comme un road movie à la première personne, approchant la guerre d’abord par sa périphérie, par son bord plutôt que par son bout, par ses routes calmes, ses champs paisibles, par tout ce qui la rend à la fois invisible et omniprésente. Prétextant une quête des origines en Ukraine, Antonin Peretjatko, accompagné de deux complices, filme les effets de la guerre sur le paysage, sur ses habitants·tes, sur celles et ceux qui voudraient partir, sur celles et ceux qui n’en ont pas la force. Leurs visages, pris dans le grain chaleureux et vibrant de l’image, répondent ainsi à ceux troués par une perforeuse sur des photos dans une séquence qui dit la déshumanisation de la guerre et le projet d’un film qui voudrait, lui, sauver ces vies de l’oubli. Singeant avec facétie les actualités filmées des années 1960, commentées par la gouaille du cinéaste, Voyage au bord de la guerre ressuscite des méthodes ancestrales de cinéma via la pellicule pour filmer l’absurdité du monde présent, moins par nostalgie pour le format que par un désir de logique d’égalité entre fond et forme, entre la fragilité de ces récits et la matière d’une bobine.
Le film n’a pas encore de date de sortie.
FESTA MAJOR de Jean-Baptiste Alazard
C’est un petit village niché au creux des Pyrénées. À Fillols, chaque année, les habitants·tes se réunissent pour faire la fête. Durant plusieurs jours, ils et elles, vieux et moins vieux, enfants et ados, se rassemblent sur la place du village. Certains sont là pour boire, danser, d’autres pour faire revivre d’ancestrales figures du territoire, des rites d’antan, peut-être moins pour chérir le passé qui les a vus naître que pour célébrer le présent. C’est en tout cas avec cette conviction que Jean-Baptiste Alazard filme ces jours de fête à l’éveil du printemps, plaçant au cœur de ce village l’espoir d’une utopie. Car c’est bien comme un paradis à l’abri du monde ou plutôt un maquis de résistance que le cinéaste regarde l’endroit, brossant au passage le portrait de celles et ceux qui peuplent son quotidien. Festa Major cherche moins l’état d’endurance de la fête qu’un sentiment de plénitude et d’harmonie en assumant de ne conserver de ces moments que le plus doux, le plus beau, en évinçant la trivialité ou parfois la menace de ces évènements où l’alcool coule à flots. La conviction d’un idéal de société murmure à chaque recoin du film, derrière chaque bruissement de feuille, dans chaque rayon de soleil, avec la ferme croyance d’un être ensemble possible et consolant. L’image de la ronde parcourt le film (notamment via la présence de la sardane, ancienne danse catalane) et dessine ainsi l’idée d’une transmission poreuse et partageable.
Le film, qui n’a pas encore de date de sortie, a reçu le prix du public et une mention spéciale du prix européen des lycéens.
Image : © Antonin Peretjatko / Bathysphère Productions