En lisière d’une forêt enneigée, des loups dépouillent la carcasse d’un animal. Roberto Minervini étire ce sinistre plan d’ouverture pendant de longues minutes. C’est qu’il annonce la coloration spectrale de ce film de guerre cerné par la mort, dans lequel des soldats de l’Union, envoyés à l’Ouest pendant la guerre de Sécession pour arpenter des territoires inexplorés, découvrent la véritable nature – sanglante – de leur mission…
Au cœur de l’hiver 1862, le film s’emploie, avec une dérangeante tranquillité, à figurer en creux la menace qui guette, mais ne vient pas, ou si peu. Peu importe l’ennemi qui se rapproche, ce qui intéresse Roberto Minervini, c’est de filmer le doute qui grignote le cœur de ces soldats : et s’ils étaient du mauvais côté de cette guerre fratricide ? Et si Dieu ne soutenait pas leur croisade ?
Laconique, anti-spectaculaire, Les Damnés se détourne alors de l’action – hormis lors d’une crépusculaire scène de bataille à la carabine, où les ombres se confondent au point qu’on ne sait plus qui est qui – pour disséquer le quotidien de la vie du camp. Tailler le bois, garder le feu, nettoyer les armes, deviennent les véritables enjeux, à la fois maigres et captivants, d’une guerre lointaine laissée hors-champ.
Au fond, Minervini n’a envie que d’une seule chose : filmer d’aussi près qu’il peut, en évacuant le paysage grâce à une courte focale, les visages de ces hommes qui perdent la foi en Dieu, en leur patriotisme. Alors que les paysages du Montana s’évanouissent, rendus flous par une profondeur de champ inexistante, l’épure de Minervini touche à son but : mettre en image l’attente résignée de la mort. Celle des corps fatigués, mais surtout celle des idéaux nationalistes, qui font des hommes de la chair à canon.
Le Festival de Cannes se tiendra cette année du 14 au 25 mai 2023.
Illustrations : Les Films du Losange