CANNES 2024 · « Château Rouge » de Hélène Milano : retour au collège

[CRITIQUE] Ce superbe documentaire présenté à l’ACID plante sa caméra dans un collège défavorisé du nord de Paris. La réalisatrice Hélène Milano suit une classe de troisième à l’heure des choix d’orientation et révèle des destins contrariés, à la fois parfaitement incarnés et universels.


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« Devant moi, c’est comme s’il y avait une porte blindée. » Le visage de cet élève de troisième qui parle face caméra porte encore les rondeurs de l’enfance. Il s’attarde sur son avenir, ses ambitions. Revues à la baisse, les ambitions. Ce qu’il voulait faire, c’était journaliste, être « sur les plateaux » ou « en régie ». Finalement, il vise plutôt un Bac pro, puis un BTS Banque. Comme bon nombre de ses camarades du collège Georges Clemenceau, dans le quartier parisien défavorisé de la Goutte d’or, ses rêves se sont fracassés contre la porte blindée. C’est cet instant charnière de l’adolescence, au moment du passage du brevet et du choix de son orientation, que filme Hélène Milano dans Château Rouge.

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La qualité d’un documentaire repose beaucoup sur le fait d’avoir bien choisi ceux et celles qui deviendront ses personnages. Ici, le casting est parfait. Bilal, casquette du Chelsea Football Club vissée sur la tête, ne rêve que de faire carrière ballon au pied, au grand dam de sa mère, mariée à 16 ans, toujours là aux réunions parents-profs pour répondre de l’indiscipline de ce fils dont elle espère tant. Karim, perpétuellement convoqué par l’équipe éducative, ne sait pas gérer la colère née du deuil et du manque. Une jeune fille aimerait être avocate, « mais bon, c’est pas pour nous », une autre s’étonne des affres de l’adolescence. « Il y a des jours où je pense me connaître, d’autres non. »

À l’heure où une bonne partie de la classe politique française n’a que l’autorité à invoquer comme horizon pour la jeunesse, Château Rouge rappelle à quel point il est difficile de choisir ce que sera son existence à 14 ou 15 ans, quand on ne sait même pas qui on est. D’autant plus difficile quand les possibles sont rétrécis par les déterminismes. D’autant plus encore dans un système à bout de souffle, qui ne tient que sur la bonne volonté des éléments les plus opiniâtres. Enseignants, conseillère d’orientation, psychologue… tous s’échinent devant la caméra d’Hélène Milano, se démultiplient, apportent de la lumière sans angélisme. C’est d’ailleurs ce délicat équilibre qui caractérise le documentaire, comme lors d’une géniale scène de danse face caméra. Drôle et émouvante parenthèse, comme une petite prise de liberté avant de se retrouver, une nouvelle fois, face à une porte blindée.

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Le Festival de Cannes se tiendra cette année du 14 au 25 mai 2023.