Barbie, une poupée qui vous veut du bien

Dans « Barbie » de Greta Gerwig (« Lady Bird » en 2017 ; « Les Filles du docteur March » en 2019), Margot Robbie, une des nombreuses Barbie du film, quitte Barbie Land et part dans le monde réel pour découvrir qui elle est vraiment. Un récit d’émancipation féminine qui n’est pas si surprenant, quand on se replonge dans l’histoire de la création de cette poupée mythique, qui a traversé les âges et les genres cinématographiques en ne cessant de se réinventer.


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« Depuis la nuit des temps, depuis l’existence de la toute première petite fille, il y a eu des poupées. Mais ces poupées étaient toujours des bébés. Jusqu’au jour où… » Dans le premier teaser dévoilé en décembre 2022, Barbie (), vêtue de la première tenue portée de la poupée (maillot de bain à rayures noir et blanc, lunettes vintage et queue de cheval blonde), surgissait sur le morceau Ainsi parlait Zarathoustra de Richard Strauss. Face à cette poupée à l’effigie d’une femme adulte, les petites filles, subjuguées, délaissent sans hésiter leurs poupons et leurs poussettes pour se tourner vers ce nouveau jouet. 

Si elle avait pu le voir de ses propres yeux, Ruth Handler, créatrice de Barbie et co-fondatrice de Mattel, décédée en 2002, aurait sans doute été fière de ce premier teaser tant il capture l’essence de ce qu’elle souhaitait créer avec ce jouet.

BARBIE : L’ORIGIN STORY

L’histoire de Barbie commence en 1955. Alors que sa fille abandonne ses poupons pour jouer avec des figurines de femmes en papier qu’elle récupérait dans des magazines, l’idée d’un jouet permettant aux petites filles de se projeter dans la vie adulte commence à germer dans l’esprit de Ruth Handler, femme d’affaires américaine pleine d’ambition qui a commencé sa carrière en tant que secrétaire au studio de cinéma de la Paramount, avant de fonder en 1945, à l’âge de 29 ans, la société de jouets Mattel aux côtés de son mari Elliot Handler et le designer Harold Matson. Pendant un voyage en Allemagne, elle découvre Bild Lilli, une poupée allemande aux allures de femmes fatale, et commence à développer Barbie. Commercialisée en 1959 aux États-Unis, la poupée rencontre un vif succès et s’exporte à l’international, arrivant en France en 1963.

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Au fil des décennies, Ruth Handler n’a cessé de défendre sa création face à ses détracteurs qui la décrivaient comme un jouet sexiste et stéréotypé, expliquant que Barbie offre aux petites filles la possibilité de se projeter dans plusieurs carrières, là où les poupées à l’effigie d’un bébé ne leur offraient que la possibilité de s’imaginer dans le rôle d’une mère. 

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En 1994, dans son autobiographie Dream Doll : The Ruth Handler Story, l’entrepreneuse américaine écrit : « Même dans ses premières années, Barbie n’avait pas à se contenter d’être uniquement la petite amie de Ken ou une accro du shopping invétérée. Elle avait les vêtements, par exemple, pour se lancer dans une carrière d’infirmière, d’hôtesse de l’air, de chanteuse de boîte de nuit. Barbie a toujours incarné une femme qui a le choix ». Barbie pourrait-elle avoir été un véritable outil d’émancipation féminine depuis des générations ?

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Qu’on l’aime ou non, la figure de Barbie s’est infiltrée dans notre culture populaire et n’a cessé d’être étroitement liée à une certaine image de la féminité. En avril dernier, dans un post Instagram dévoilant l’affiche de son personnage de Barbie dans le film de – qui comporte plusieurs versions de la célèbre poupée, l’actrice américaine Hari Nef raconte s’être octroyée de manière humoristique avec ses amies trans le surnom « the doll » (« la poupée » en français): “C’est peut-être une tentative pour ratifier notre féminité, sourire et se moquer des normes auxquelles nous sommes tenues en tant que femmes […]. Sous le mot « poupée » se trouve la forme d’une femme qui n’est pas tout à fait une femme – reconnaissable en tant que telle, mais toujours fausse. Nous nous appelons « les poupées » pour dire ce que nous sommes, ne serons jamais ou espérons être. Nous crions le mot parce que le mot compte. Et aucune poupée n’a plus d’importance que Barbie”.

Au départ conçue comme un jouet pour enfant, Barbie semble aujourd’hui permettre une forte identification. Mattel l’a très bien compris et n’a pas attendu longtemps avant de diversifier son offre. En 1968, alors qu’aux États-Unis la population noire souffre de la politique de ségrégation du pays et que le mouvement des droits civiques bat son plein, Mattel crée une nouvelle poupée à la peau noire : Christie, la meilleure amie de Barbie. Plusieurs années plus tard, en 1980, la première Barbie à la peau noire sera commercialisée.

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Du côté des cinéastes, la poupée (Barbie ou non) a été un outil de choix pour porter à l’écran des expériences liées à la condition féminine. Dès 1988, avec Superstar : The Untold Story of Karen Carpenter, Todd Haynes s’empare de ce jouet en plastique pour raconter le combat de la chanteuse du groupe The Carpenter contre l’anorexie. Remplaçant les personnages principaux par des poupées Barbie (et Ken), le cinéaste américain malmène ce symbole d’un idéal de beauté inatteignable pour mieux souligner les injonctions qui pèsent sur les femmes dans la société et dresser un portrait réaliste et complexe d’un trouble alimentaire peu étudié. 

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Plus récemment, la réalisatrice Tchèque Daria Kashcheeva s’est également emparée de la figure de la poupée pour dénoncer les injonctions liées à la féminité avec son court métrage d’animation Électra (2023). Alliant prise de vues réelles et stop motion, la cinéaste met en scène des poupées mannequin de taille humaine qu’elle démembre et abîme pour illustrer les traumatismes d’enfance de son personnage et les violences physiques et psychologiques endurées par les femmes dans nos sociétés. Ainsi, même à l’âge adulte, la figure de la poupée Barbie continue d’offrir aux femmes une façon de s’exprimer et de se libérer des injonctions qui pèsent sur elle, comme elle a pu permettre aux petites filles de se rêver dans d’autres rôles que celui d’une mère.

BARBIE, UNE FIGURE DE RÉBELLION

Dans les dessins animés pour enfants, la figure de la poupée a aussi gagné en profondeur et en indépendance. Dans Toy Story 4 (2019), le personnage de Bo La Bergère est passée d’une poupée de porcelaine fragile et délicate à une poupée badass déterminée et combative, qui n’hésite pas à prendre les rênes de l’action. 

Mais là où l’image trop lisse pour être rassurante de la poupée a été le plus détournée, c’est dans le cinéma d’horreur. Si ce dernier a largement malmené ce jouet destiné aux enfants dans les sagas Annabelle (2014, 2017 et 2019) et Chucky (8 films de 1968 à 2019), c’est le film M3GAN de Gerard Johnstone (2021), qui a récemment tenté de dépoussiérer le mythe de la poupée tueuse. 

5 films d’horreur au féminin

Poupée androïde de taille humaine, décrit comme une « Barbie sous stéroïdes » dans le film, M3GAN a été créée par Gemma (Allison Williams, révélée par la série Girls en 2012 puis Get Out en 2017), jeune scientifique surdouée, afin de devenir la meilleure amie de sa nièce. Dotée d’une intelligence artificielle et de « son propre esprit », nous dit-on, M3GAN va vite se servir de ses capacités intellectuelles pour tuer tous ceux qui se mettent sur son chemin, s’émancipant alors du rôle dans lequel sa créatrice a voulu la cantonner, et s’éloignant une bonne fois pour toute de l’image de la poupée Barbie plate et superficielle.

S’il s’agit ici d’un parcours d’émancipation féminine qui tourne au vinaigre, il n’est pas sans rappeler celui qu’entreprend notre iconique Barbie dans le film de Greta Gerwig. En quête d’identité et d’indépendance, elle parcourt le monde réel à sa guise, n’en déplaise à ceux qui préféreraient la remettre dans sa boîte. 

Barbie de Greta Gerwig, Warner Bros France, (1h54), sortie le 19 juillet.