Quand Audrey (Audrey Carmes) rencontre Aymeric (le cinéaste Virgil Vernier), propriétaire de la maison du chantier participatif qu’elle rejoint aux côtés de personnes d’âges et d’horizons différents, l’expérience communautaire qu’il lui présente a l’air idéale. Agriculture, récup’, méditation, massages, expression artistique et corporelles… Tout est mis en place pour s’épanouir au sein du collectif. Aymeric semble très cool comme ça au premier abord, mais le réalisateur Brieuc Schieb étire ses séquences jusqu’au malaise pour que l’on prête attention à ce qu’il y a entre les mots du logeur : questions intrusives, remarques fourbes, mansplaining incessant, ton injonctif… Pendant ce temps, les autres encaissent.
Sur le chantier, un épouvantail au sourire halluciné les observe, un peu à la façon du soleil à tête de bébé inquiétant qui regardait vivre les Télétubbies. Dans chacune de ses interventions muettes qui ponctuent le récit, on ne sait jamais quoi projeter sur son coup d’œil égaré, son expression aussi guillerette que troublée. Ce pantin poussiéreux incarne bien la grande qualité du film de Brieuc Schieb, qui ne plaque jamais d’intentions, de sentiments préfabriqués sur ses personnages.
Le cinéaste, sans jugement, laisse le spectateur respirer, humer cette atmosphère de déroute – dans sa manière patiente de dépeindre l’isolement progressif d’Aymeric, on pense au style très documentaire de Du côté d’Orouët (1973) de Jacques Rozier, dans lequel on voyait un grand dadais mis à l’écart par un groupe de filles en vacances en Vendée. Mais c’est surtout dans son talent pour capter les confidences de ses personnages – même celles d’Aymeric, lui aussi regardé avec tendresse – que s’affirme tout l’art du portrait de Brieuc Schieb. En les suivant dans leurs digressions, en partageant leurs secrets, leurs jeux, et parfois leur détresse, il leur trouve une autre manière de faire lien.