La Femme : « Jim Carrey, quel type ! Je suis content que l’humanité l’ait eu. »

Depuis plus de dix ans, La Femme réveille la pop francophone avec ses grooves juvéniles et ses influences inattendues. « Teatro lúcido », sorti début novembre, est leur premier album entièrement en espagnol. Sacha Got, moitié du groupe avec Marlon Magnée, s’est livré au jeu de notre questionnaire cinéphile.


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Décris-toi en 3 personnages de fiction.  

Sacha Got : Dewey Cox dans Walk Hard de Jake Kasden (2007). C’est l’histoire d’une rock star jouée par John C. Reilly, qui traverse toutes les époques, des années 1950 dominées par Johnny Cash et Elvis Presley jusqu’à Brian Wilson et les Beach Boys dans les années 1970. Je me souviens de cette séquence hallucinante où Brian Wilson est sous acide, il commence à avoir des idées délirantes, il veut faire venir des lamas dans son studio, des tribus débarquent avec des didjeridoo… Je m’identifie à Dewey Cox parce qu’avec notre groupe, on navigue aussi entre toutes les époques, en brassant des influences de différentes décennies. Et j’adore l’idée que le film caricature et compile tous les clichés du rock.  

Jimmy (Phil Daniels) dans Quadrophenia de Franc Roddam (1979), dont la bande-originale a été composée par le groupe The Who. Ca se passe dans le Londres des années 1960, le personnage principal, qui est un grand révolté, fait une virée en moto jusqu’à Brighton. Ado, j’adorais le style des mods [bande de rockeurs, ennemie jurée du héros principal, ndlr], la soul, le rythm and blues qu’ils écoutaient, la liberté qu’ils incarnaient dans l’Angleterre de cette époque.  

Enfin, le personnage de Johnny Depp dans Las Vegas Parano de Terry Gilliam (1998) parce que je porte des chemises à fleurs et des bobs. Aussi à cause de mon côté psychédélique.  

3 bandes originales planantes ?

Celle d’Ennio Morricone dans Le Bon, la Brute et le Truand (1966) de Clint Eastwood. Lorsqu’il y a des gros plans sur des fronts en sueur, des regards, la musique vient vraiment apporter une autre dimension au film, avec ses bruits d’harmonica, de guimbardes. C’était très novateur à l’époque, de faire surgir des sons de nulle part, de les associer à des personnages. D’ailleurs, c’est assez fascinant de se dire que c’est un Italien qui s’est inspiré de la musique classique, pour se la réapproprier avec des instruments modernes, des guitares électriques. Le tout enregistré dans des studios à Rome.  Le mélange est improbable – on l’insuffle nous-mêmes dans notre musique, en convoquant des mélodies espagnoles, de la trompette…  J’adore aussi la scène dans Kill Bill (2003) où Uma Thurman arrive à sortir de sa propre tombe pour commencer une nouvelle vie – la musique d’Ennio Morricone y apporte quelque chose de très fort symboliquement.  

Orange Mécanique de Stanley Kubrick (1971), dont la BO est signée Wendy Carlos. C’était la première fois que l’on utilisait des synthétiseurs analogiques pour jouer de la musique classique.  

En dernier, je dirais la partition de Dernier domicile connu de José Giovanni (1970). François de Roubaix, c’est un peu le Ennio Morricone à la française. D’ailleurs sa BO a été samplée par beaucoup de rappeurs, même s’il est tombé dans l’oubli. C’était un des pionniers du home-studio, multi-instrumentiste. Il enregistrait tout, tout seul, dans un son studio du 17e arrondissement, piste par piste. Il était aussi explorateur, et faisait de la plongée sous-marine. À chaque voyage, il ramenait un instrument.

L’acteur ou l’actrice qui te faisait fantasmer à 13 ans ?

Uma Thurman, pour Kill Bill (2003) et Pulp Fiction, et surtout son rôle de Poison Ivy (1994) dans Batman et Robin de Joel Schumacher (1997). Elle détient un filtre aphrodisiaque, tout le monde tombe amoureux d’elle et l’embrasse – c’est un de mes premiers souvenirs érotiques, avec Milla Jovovich dans Le Cinquième élément de Luc Besson (1997). J’adore cette figure androgyne, garçonne.  

 

3 films qui te donnent envie de « foutre le bordel » ?

The Mask de Chuck Russell (1994), parce qu’il donne envie de faire le con, de révéler ce truc secret, enfoui, qu’on cache tous sous le masque social. C’est l’histoire d’un mec qui travaille dans une banque, qui a une vie chiante, et il tombe sur un masque qui révèle sa folie. La scène de la fête en boîte de nuit, où il devient complètement scandaleux, se tord de grimaces, je trouve ça dingue. Jim Carrey, quel type ! Je suis content que l’humanité l’ait eu.  

Les Greemlins de Joe Dante (1984). Notre clip Orgie de gobelins sous champignons hallucinogènes est une version alternative montée à partir des images de la scène de fête, où tous les personnages sont ivres. Dumb and Dumber des frères Farrelly (1994) pour le côté loufoque, barré. Bonus : Les Onze Commandements de Michaël Youn (2004).  

3 films à regarder à trois heures du mat’, une nuit d’insomnie ?

Les Visiteurs de Jean-Marie Poiré (1993), il n’y a que ça de vrai dans les moments de down. Christian Clavier, les boutades qui fusent de A à Z. Je ne m’en lasse pas. Speed de Jan de Bont (1994). Ca se passe entièrement dans un bus qui a été piégé par un fou, et les passagers doivent rouler super vite pour empêcher que le bus explose. Après, pour vraiment m’endormir, je regarde des vidéos de gens qui chutent en skate ou en voiture. C’est bizarre, mais ça me détend. Eh mec ! Elle est où ma caisse ? de Danny Leiner (2000), une énorme comédie américaine bien bête, sur deux mecs qui ont perdu leur voiture, et qui vire à la science-fiction.  

Trois scènes de film que tu aurais aimé vivre.  

La scène du duel au banjo dans Délivrance de John Boorman (1972) [on y voit un citadin et un enfant s’affronter symboliquement à la guitare et au banjo, ndlr]. Bon, après ça part en cauchemar, donc je n’aurais pas aimé le vivre. La scène surréaliste du surf dans Apocalypse Now (1979) de Francis Ford Coppola – sans la guerre au Viêtnam autour bien-sûr. Dans le film, c’est un bol d’air, car ils sont sous les bombes et le napalm, et ce lieutenant débarque pour leur proposer une parenthèse. Enfin, la scène de fête dans Fritz le chat de Ralph Bakshi (1972), film d’animation pornographique qui parodie les beatniks à New-York dans les années 1960. Il y a ce chat fou, dépravé, qui participe à une partouze complètement défoncé, avant que des flics déguisés en cochons débarquent.  

Si ton album était un film ? 

Ce serait un film qui existe déjà, visible sur YouTube : Paradigme, inspiré de notre album sorti en 2021. C’est une comédie musicale réalisée avec Aymeric Bergada du Cadet, dans laquelle tous les clips de l’album, où se mélangent des fausses pubs, de l’animation, sont agencés. On y parodie les émissions de télé-réalité des années 1970-1980, à la Michel Polac et Thierry Ardisson, un peu dans l’esprit des Nuls et des Inconnus. L’idée, c’était de saisir cette époque un peu folle où tout le monde fumait, racontait n’importe quoi pour scandaliser. Il y a un esprit cabaret à la Phantom of the Paradise [opera rock de Brian de Palma sorti en 1974, ndlr] dans l’esthétique, et Metropolis [film dystopique de Fritz Lang sorti en 1927, ndlr].  

Teatro lúcido (Disque Pointu/Born Bad)

Portrait © Ilan Zerrouki