ÉDITO – Le sens de la fête. C’est ce qu’une partie de la population a cherché avec acharnement et parfois retrouvé fugacement, dès le début de la pandémie et depuis sa récession, pour lutter contre la morosité ambiante. Au point que l’expression est devenue galvaudée. Surtout, est-elle appropriée ? La fête n’est-elle pas justement vouée à nous brouiller les sens, à nous déboussoler, à nous perdre ? En découvrant La Bête dans la jungle de Patric Chiha en février dernier au Festival de Berlin, on a enfin vu, pour la première fois sur tout un film, ce qui constitue selon nous la fête : la suspension du temps, l’artifice, le goût du spectaculaire, les mouvements du corps parfois harmonieux, parfois bêtes, impensés, sur des rythmes répétitifs, speed ou lancinants, qui n’ont d’autres visées que de nous mettre en transe.
Patric Chiha : « Le club, c’est l’espoir de vivre plus, lié à la tristesse du temps perdu »
Le film se déroule pendant vingt-cinq ans dans une seule boîte de nuit, sans vraiment faire vieillir ses héros vampiriques, joués par les incandescents Anaïs Demoustier et Tom Mercier. À la Berlinale, on découvrait un autre film de fête furieuse, le bien nommé After d’Anthony Lapia, plongé pour moitié dans un club vénère en sous-sol, où les corp et les âmes vibrent à l’unisson et tentent de se connecter grâce au chaos de la teuf. Les deux œuvres sont traversées de questions sur le sens – ou le non-sens – de la fête, sur ce qu’elle peut révéler des époques et de notre rapport au temps. On y a vu plus qu’un hasard, et ça nous a donné envie de nous plonger dans le phénomène. On a emmené Patric Chiha à La Station – Gare des Mines, hot spot des soirées electro situé Porte d’Aubervilliers, pour l’interviewer dans la fête, lors d’une soirée post-Pride · TIMÉ ZOPPÉ
Vu à la Berlinale : « La Bête dans la jungle » de Patric Chiha (Panorama)
Pride qui en a scandalisé certain(e)s cette année, qui la considéraient comme moins festive, l’Inter-LGBT ayant décidé, dans une démarche autoproclamée « éco-responsable », d’interdire les chars – on atteste que ça n’a pourtant pas empêché les gens de danser et les slogans militants de fuser. En interrogeant des artistes, des journalistes et une anthropologue pour notre dossier, la réalité qu’on soupçonnait a fini par se faire jour : la fête, outre ses vertus libératrices et cinématographiques, se fait aussi parfois furieusement politique. Un espace de résistance aux carcans qu’impose la société sur les corps et les mœurs ou aux injonctions de productivité libéraliste – même si pas encore toujours égalitaire. La fête, au moins comme un moyen d’explorer tous les sens.