On avait rarement pris autant de plaisir devant des films d’horreur que face à cette trilogie réalisée par Ti West. Après les seventies dans X (pépite d’inventivité où le tournage d’un film porno vire au massacre, sortie en 2022), les années 1920 dans Pearl (l’origin story glaçante de la meurtrière du film précédent, directement sortie en France en VOD, en 2023), le cinéaste américain poursuit son exploration cauchemardesque de la célébrité avec MaXXXine, en salles le 31 juillet. Dans ce slasher hors-norme situé en 1985, son héroïne, l’aspirante star de cinéma Maxine Minx (Mia Goth), affronte un tueur en série satanique. Bravant le jet-lag, le réalisateur fraîchement débarqué de Los Angeles a répondu à toutes nos interrogations sur ce nouveau film explosif. Rencontre avec ce grand cinéphile qui dynamite le genre de l’horreur, à coup de (très) bonnes idées.
Les deux premiers films de cette trilogie ont rencontré un succès-surprise, avec plus de 25 millions de dollars au box-office américain, pour un budget de 1 million pour chaque. Y avait-il plus de pression pour ce troisième volet ?
Quand on a réalisé les deux premiers, personne ne savait ce qu’on était en train de faire [X et Pearl ont été tournés l’un à la suite de l’autre en début d’année 2021, ndlr]. Pour MaXXXine, j’étais conscient des attentes du public. J’ai essayé de ne pas m’en préoccuper pour éviter de me sentir dépassé. Mais les trois films sont exactement comme je les ai imaginés et tournés. C’est en grande partie grâce à A24 [société de production américaine, qui a notamment produit les films d’Ari Aster, ndlr] qui soutient vraiment ses cinéastes en les laissant franchement tranquilles.
X se déroule en 1979, Pearl en 1918 et MaXXXine en 1985. Pourquoi avoir choisi cette année-là ?
Pour certains, Los Angeles est l’un des endroits les plus glamour du monde. Mais la ville a un côté plus sordide. À l’été 1985, il y a eu un grand mouvement d’indignation morale contre la violence des films et des musiques produits à cette époque, notamment en raison de leur supposée propagation de messages satanistes. Au même moment, un tueur en série satanique surnommé « The Night Stalker » [en français « Le Traqueur nocturne », ndlr] apparaissait partout dans les médias, qui essayaient de le rendre suffisamment célèbre pour réussir à l’attraper. C’était le bon moment pour retrouver Maxine et raconter ses efforts pour réussir à Hollywood.
Quel regard avez-vous sur Hollywood aujourd’hui ?
Le même que tout le monde je pense : il y a beaucoup de bonnes choses et beaucoup de mauvaises choses. D’un point de vue extérieur, ce n’est que paillettes et glamour. Mais il y a beaucoup de gens qui ne réussissent pas et beaucoup de souffrance mentale.
Le personnage de Pearl dans le film éponyme met en avant cette « souffrance mentale ». Au moment d’écrire X, aviez-vous déjà envie de représenter les deux facettes de cette industrie ?
Non, X a d’abord été pensé seul. Je souhaitais surtout dévoiler les coulisses de la fabrication d’un film [le film raconte l’histoire d’un groupe de jeunes artistes qui louent une grange à un couple âgé – Pearl et Howard – pour tourner un film porno amateur, ndlr]. On me demande souvent si faire du cinéma d’horreur est effrayant : ça ne l’est pas, c’est un travail technique. Alors je voulais montrer à quel point faire un film érotique n’était pas érotique du tout. C’était aussi un moyen d’insuffler aux personnages cet esprit de “cinéma indépendant” que j’aime tant : cette idée qu’il est possible de sortir de chez soi, de prendre une caméra et de tourner un film. Pour Pearl, il devait y avoir un lien entre les deux histoires outre le fait que ce soit le même personnage plus jeune [le film revient sur la jeunesse de Pearl, l’inquiétante propriétaire de la grange dans X, ndlr]. Elle est aussi très influencée par le cinéma : elle pense qu’en ayant la même vie que dans les films, elle sera plus heureuse. Ce qui lie mes personnages les uns aux autres, c’est une même ambition : celle de faire des films ou d’avoir la vie qu’on voit dans les films.
MaXXXine reprend les codes du slasher : tueur masqué, crimes graphiques à l’arme blanche avec principalement des jeunes femmes comme victimes… Pourquoi ce choix ?
Chaque long-métrage devait être différent. Alors que les deux premiers sont plus contenus, le troisième est un grand film explosif où Los Angeles est un personnage à part entière. Au milieu des années 1980, les slashers étaient très populaires et MaXXXine est influencé par tous les types de cinéma présents à cette époque : des films de série B à très petit budget aux grandes œuvres hollywoodiennes, en passant par les giallo italiens.
Le genre de l’horreur est très codifié. Comment avez-vous fait pour vous approprier ces codes et surtout les moderniser ?
Les archétypes sont précieux car ils donnent au public une sorte d’ancrage, mais il faut y apporter une perspective nouvelle. Maintenir vivante la tradition de ces œuvres tout en leur offrant la possibilité d’évoluer, pour qu’ils ne deviennent pas viciés. Au moment d’écrire X, les films américains étaient devenus un peu mous : il n’y en avait pas beaucoup mêlant le sexe et la violence. X reprend des codes familiers, mais cette fois les jeunes gens libérés, normalement punis par des personnes âgées puritaines pour leur immoralité, sont punis parce que ces personnes sont envieuses d’eux.
Si on suit les codes des films d’horreur, Maxine Minx fait figure de final girl. Ce personnage archétypal de la dernière survivante, théorisé par Carol J. Clover en 1970, est souvent représenté par une jeune femme vierge. Ici, elle en est une version bien plus moderne. Comment a évolué ce personnage dans votre esprit depuis X ?
Sur le papier, Maxine n’est pas la citoyenne idéale. Elle se drogue, tourne dans des films pornographiques, a comme ambition d’être célèbre… Elle n’essaie pas de travailler pour la Croix Rouge en somme, mais je ne voulais pas la juger. Le public peut avoir de l’empathie pour elle et même s’identifier à elle. Au même titre qu’ils ont pu avoir de la sympathie pour Pearl dans le film précédent. Ce qui est une position inconfortable, parce que c’est une meurtrière. Maxine est comme elle est, et nous sommes avec elle. Six ans après les événements de X qui l’ont changée, elle a l’opportunité de réussir à atteindre son but. Ça pourrait lui être enlevé, et on va voir comment elle réagit à ça. La final girl la plus intéressante – à défaut d’un meilleur terme – est celle qui est autant une menace pour les méchants qu’eux le sont pour elle.
Ce qui transparaît dans vos films, c’est aussi votre amour pour les années 1980. Qu’est-ce qui vous plaît dans cette époque ?
C’est une décennie intéressante parce que très excessive. Même si j’étais très jeune en 1985 [Ti West est né en 1980, ndlr], j’ai beaucoup de souvenirs des années 1980/1990. Mais ce qui me plaît en tant que cinéaste, c’est de pouvoir recréer cette époque de toute pièce : tout ce qui est devant l’objectif n’existe pas vraiment, il faut le créer. Il faut être attentif à ce qu’on met en scène et à pourquoi on le fait. Vous ne pouvez pas simplement sortir dans la rue et filmer. C’est la joie de ce travail.
Vous avez déclaré dans le Los Angeles Times avoir écrit quarante pages de votre prochain script et avoir envie de surpasser X, Pearl et MaXXXine. A quoi peut-on s’attendre ?
Je suis terriblement en retard sur ce scénario ! Pour chaque nouveau film, je veux être un peu plus ambitieux, un peu meilleur que le précédent. Sinon pourquoi le faire ? Il ne faut pas s’inquiéter de ce que les gens pensent. Il y en a qui penseront toujours que The House of the devil (2009) est le meilleur et le seul bon film que j’ai fait [sorti en VOD en 2014 en France, le film raconte le calvaire d’une baby-sitter qui devient la victime d’un rituel satanique, ndlr]. Ce qui compte pour moi, c’est de développer mes idées. En tout cas, si le prochain film est celui que j’ai en tête, il sera très différent de cette trilogie. Enfin, si j’arrive à terminer le scénario…
« MaXXXine » : Ti West épingle le star-system hollywoodien
MaXXXine de Ti West (Condor Distribution, 1h44, sortie le 31 juillet
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