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SCÈNE CULTE · « As Tears Go By » de Wong Kar-wai (1988)
- Olivier Marlas
- 2022-07-01
Incendie sous contrôle, miroir du sentiment amoureux, l'œuvre sensuelle et flamboyante du styliste hongkongais a d'abord emprunté les sentiers du film de genre, avec une histoire de gangsters violente et prévisible mais déjà gouvernée par le désir.
LA SCENE
Ngor : Va te reposer. Je t'enregistrerai demain.
Wah : D'accord.
(Wah cherche à allumer sa cigarette.)
W. : Tu commences tôt ?
N. : Très tôt.
Je te ferai le petit déjeuner.
W. : D'accord.
N. : Tu restes longtemps ici ?
W. : C'est possible.
(Wah fume ; Ngor regarde sa montre.)
N. : Je te laisse.
W. : Je te raccompagne.
N. : Pas la peine. C'est juste à côté.
W. : Tu dois vraiment rentrer ?
N. : (De dos.) Pourquoi tu es venu si tard ?
W. : Parce que je me connais. Je peux rien te promettre.
Si je pensais pas sans cesse à toi, je serais pas venu.
N. : Si tu n'étais pas venu, j'épouserais ce médecin.
L'ANALYSE
Sorti en 1988 et écrit à partir du scénario de Mean Streets de Martin Scorsese, As Tears Go By raconte la dérive de petites frappes dans les rues mafieuses de Hong Kong, mais le style naissant de Wong Kar-wai détourne le programme de ce polar. Quand Wah (Andy Lau) débarque à l'improviste sur l'île de Lantau pour revoir sa cousine Ngor (Maggie Cheung), le film est comme pris de vertige.
Dans la foulée d'un premier baiser échangé dans une cabine téléphonique, les deux personnages se retrouvent seuls, au-dehors, enserrés dans un plan fixe qui entretient l'idée de stase, nouveau foyer de corps à la fois proches et étrangers, qui ne savent pas comment s'y prendre pour se rapprocher davantage. Pendant une minute, dans une ambiance nocturne faussement décontractée, le temps s'étire au rythme des banalités et des silences, puis la jeune femme commence à s'en aller.
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Lire l'articleSoudain, la caméra s'agite : plan serré sur le visage de Ngor, qui reste figée là, tournant le dos à son cousin encore visible derrière elle. Sans se retourner, elle l'interpelle, mais la réponse ne lui convient pas tout à fait. La voici désormais de profil, hésitante, alors que Wah fuit le cadre en montant les marches rouges d'un escalier. Après un rapide coup d'œil, elle finit par le suivre, tandis que les notes de Take My Breath Away accompagnent sa foulée. Tenu à l'écart par un léger travelling arrière, le spectateur observe les mollets blancs de Maggie Cheung monter les marches rouges, presque au ralenti. Chez Wong Kar-wai, l'amour est toujours une danse à contretemps.
As Tears Go By de Wong Kar-wai, The Jokers/Les Bookmakers (1 h 42), ressortie le 29 juin