OLDIES · Scène culte : « Affreux, sales et méchants » d’Ettore Scola

Entassé avec sa famille dans un taudis du bidonville de Monte Ciocci, à Rome, le patriarche Giacinto Mazzatella (Nino Manfredi) passe ses jours à boire et ses nuits à veiller sur son butin – une somme d’un million de lires touchée après avoir perdu un œil dans un accident de travail. L’abominable chef-d’œuvre d’Ettore Scola revient en salles, avec sa rage et son amertume intactes.


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La scène

Giacinto prend la fuite in extremis après s’être fait empoisonner par les siens au cours d’un banquet de baptême – cinq cents grammes de mort-aux-rats dans les maccheroni alla pugliese. On le retrouve couché sur une plage de fin du monde, les jambes coincées dans son vélo. Une vague balaie son visage et le réveille. Incapable de se lever, il pédale pathétiquement dans le vide. Dans un dernier réflexe de survie, Giacinto remplit sa pompe à vélo d’eau de mer, l’ingurgite, se frappe le ventre et dégueule son plat de pâtes. Sa vengeance sera (évidemment) terrible.

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L’analyse de scène

Affreux, sales et méchants. Mais aussi voleurs, fainéants, avares, envieux, alcooliques, dépravés, violents, violeurs, et, sans trop les pousser, meurtriers. Peint à l’acide par Ettore Scola, ce portrait d’une famille du quart-monde italien est un précipité ricanant, coléreux et jusqu’au-boutiste des vices de l’humanité. Si la séquence du banquet constitue l’acmé de ce jeu de massacre, la scène qui suit, rythmée seulement par le ressac et les régurgitations de Giacinto, est peut-être celle qui résume le mieux le propos du film. Alternant les angles et les échelles de plans, le montage nous fait passer, en quelques minutes, du détachement nauséeux de l’observateur à une implication physique totale. C’est sur nous, spectateurs, que le méchant patriarche vomit (un zoom sidérant s’en assure), et c’est nous qui sommes invités, pour ne pas dire contraints, à vomir avec lui. La merde éclabousse, nous dit Scola, et cette horreur sociale, toute grotesque qu’elle soit, n’est pas un corps étranger, mais la part commune de nos sociétés modernes. En sauvant Giacinto, le réalisateur enfonce son clou nihiliste : dans la misère, le plus insoutenable, c’est qu’elle est increvable.

Affreux, sales et méchants d’Ettore Scola, Carlotta Films (1 h 55), ressortie le 26 juillet