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Saoirse Ronan : « Vient un moment où l'on ne cherche plus autant à se fuir »

  • Chloé Blanckaert
  • 2024-09-16

[INTERVIEW] En reine tragique dans « Marie Stuart, reine d’Écosse » (2019), sous les traits d’une adolescente hésitante dans « Lady Bird » (2018) ou de la fougueuse Jo March dans « Les Filles du docteur March » (2020), l’actrice américano-irlandaise nous passionne par sa capacité à saisir si subtilement la complexité de l’âme humaine. Dans « The Outrun » de Nora Fingscheidt (en salles le 2 octobre), elle campe avec justesse une trentenaire faisant face à ses addictions. Tout sourire lors de notre rencontre en visio, cette formidable actrice s’est livrée sur ses choix de carrière, marqués par un désir profond de connexion humaine.

The Outrun est adapté du livre autobiographique d’Amy Liptrot. Comment l’avez-vous découvert ?

Pendant le confinement, sur les conseils de mon compagnon, Jack Lowden [acteur britannique qui lui a donné la réplique dans Marie Stuart, reine d’Écosse de Josie Rourke, ndlr], et j’en suis tombée amoureuse. Amy parle d’un sujet qui a beaucoup été traité [The Outrun raconte le parcours d’une jeune femme qui lutte contre sa dépendance à l’alcool, ndlr], mais son écriture introspective et poétique m’a permis de mieux la comprendre, d’entrer en connexion avec elle.

Comment avez-vous interprété son personnage à l’écran ?

Pour que l’histoire fonctionne, il fallait prendre des libertés artistiques. Amy l’a très vite compris et, comme cette période de sa vie a été douloureuse, elle tenait à tracer une frontière nette entre elle et l’histoire. Amy, Nora [Fingscheidt, la réalisatrice de The Outrun, ndlr] et moi avons décidé de changer le nom du personnage [l’Amy du livre devient Rona dans le film, ndlr] et d’y injecter un peu de ma personnalité, de ma façon de parler.

Vous avez confié par le passé adorer la nage en eaux froides, ce que Rona pratique dans le film. Comment s’est déroulé le tournage de ces séquences ?

En fait, j’ai appris à nager dans de l’eau très froide, celle de la rivière à côté de la maison où j’ai grandi [à Ardattin, village du comté irlandais de Carlow, ndlr]. À l’époque, pour moi, c’était ça, la nage, ça n’avait rien d’exceptionnel. On a tourné les scènes du film sur les îles Orcades [un archipel situé au nord de l’Écosse, ndlr]. L’eau était froide, mais c’était en été… Comme je suis habituée à cette sensation, j’ai dû surjouer un peu.

Pour la première fois, vous êtes également productrice. Pourquoi endosser ce rôle ?

L’industrie du cinéma, comme toutes les industries, a été bouleversée par le Covid-19 et, pendant le confinement, chacun a commencé à réfléchir à la manière dont il voulait travailler et à quel point il avait envie d’être impliqué artistiquement dans ses projets. Ça a été mon cas. Depuis plusieurs années, Jack et moi étions à la recherche d’un projet-­passion. Un projet lié à nos patries [Saoirse Ronan est d’origine irlandaise et Jack Lowden est britannique, mais a grandi en Écosse, ndlr], à leurs habitants et aux histoires qui n’ont encore jamais été racontées. The Outrun est arrivé au bon moment.

Sur le tournage, qu’est-ce que ça change d’être aussi productrice ?

Ça m’a offert plus de temps. Un acteur a généralement six semaines pour se préparer à un rôle. Là, j’avais ce projet en tête plus d’un an avant de commencer le tournage. Sur le plan créatif, j’ai été beaucoup plus impliquée, ce qui est génial pour un film comme celui­-ci dans lequel je suis sur tous les plans. Et puis, nous avons quasiment écrit le scénario ensemble, Amy Liptrot, Nora Fingscheidt et moi. Au moment de tourner, nous avions la structure de base des scènes, mais une grande partie du film est improvisée, alors c’était important que ce qui était écrit ait aussi l’air de venir de moi.

Avez-vous envie de continuer cette activité de productrice ?

Jack et moi avons désormais notre société de production, Sad Dog, et nous souhaitons l’utiliser pour développer des projets que nous aimons, qui auront probablement un lien avec les endroits d’où nous venons : les histoires qui nous passionnent se déroulent généralement en Irlande ou en Écosse. Mais nous voulons prendre notre temps. Nous sommes acteurs avant tout, et si on se lance dans la production d’un autre projet, ce sera parce que ça nous tient à cœur.

The Outrun de Nora Fingscheidt

Au cours de votre carrière, vous avez incarné de nombreux personnages féminins complexes : Lady Bird, Jo March dans Les Filles du docteur March, Marie Stuart… Comment choisissez-vous vos rôles ?

Ce n’est pas un choix conscient. Quand je commence à lire les répliques à haute voix sans m’en rendre compte, à imaginer comment jouer une scène ou quelle voix cette personne peut avoir, c’est souvent signe que le scénario me plaît. Mais, en vieillissant, d’autres choses commencent à entrer en compte. J’ai maintenant une vie en dehors de mon travail. Alors, pour me faire voyager à l’autre bout du monde pendant six mois, il faut que le rôle soit vraiment spécial ou que ce soit un cinéaste avec qui j’ai vraiment envie de travailler. Heureusement, je peux maintenant me laisser guider par mon envie de donner vie à des personnages.

À 13 ans, vous avez décroché votre première nomination aux Oscars, en tant que meilleure actrice dans un second rôle pour Reviens-moi de Joe Wright (2008). Quel souvenir gardez-vous de ce tournage ?

C’était une période tellement intense ! J’avais fait quelques films avant [le rôle de Briony Tallis dans Reviens-moi, une petite fille qui accuse à tort l’amant de sa sœur d’un crime, était son troisième au cinéma, ndlr], mais je n’avais jamais été impliquée dans un projet de cette ampleur. À ce moment-là, tout semblait s’emboîter d’une manière harmonieuse dans ma vie. J’étais guidée par Joe Wright [qui a notamment réalisé Orgueil et Préjugés (2005), ndlr] et James McAvoy [révélé plus tard dans la saga X-Men de Bryan Singer (2011) et dans Split de M. Night Shyamalan (2017), ndlr]. J’avais l’impression d’être en colonie de vacances ; c’était tellement idyllique. J’ai ressenti une profonde tristesse pendant des mois, après le tournage. Quand le film est sorti, un an plus tard, c’était la première grève des scénaristes de notre ère. Bien sûr, je n’en avais pas conscience à l’époque, mais c’était une période très étrange pour sortir un film. Pourtant, il a rencontré un grand succès [il a rapporté 131 millions de dollars au box-office mondial, pour un budget de 30 millions de dollars, et a été nommé pour sept Oscars, dont celui du meilleur film, ndlr].

The Outrun de Nora Fingscheidt

Quel souvenir gardez-vous de votre première fois à la cérémonie des Oscars ?

Je tournais Lovely Bones avec Peter Jackson à ce moment-là [sorti en 2010, Saoirse Ronan y incarne une jeune fille de 14 ans assassinée qui observe sa famille depuis l’au-delà, ndlr]. C’est un professionnel des Oscars [il a reçu l’Oscar du meilleur film et du meilleur réalisateur en 2004 pour Le Seigneur des anneaux. Le retour du roi, ndlr], alors il m’a donné un conseil : prendre le temps de tout absorber, car je ne vivrais plus jamais cette expérience pour la première fois. Je suis allée aux Oscars avec sa voix dans ma tête et je suis très heureuse de l’avoir fait, car j’en garde encore des souvenirs très précis.

Un autre rôle majeur dans votre carrière – et votre première collaboration avec Greta Gerwig – est Lady Bird. Quelle importance ce film a-t-il à vos yeux ?

Greta Gerwig a une influence quotidienne sur moi. Je l’admire tellement, aussi bien sur le plan créatif qu’humainement. Personne ne s’attendait à ce que Lady Bird ait le succès qu’il a eu. Un jury l’avait même refusé en festival en disant que personne ne voudrait voir un film sur une adolescente. Pourtant, l’autre jour encore, un homme est venu me voir en me disant que ce film était très important pour lui et sa mère. C’est incroyable de voir l’héritage que Lady Bird a eu, mais le tournage a été très difficile pour moi. C’était au moment de la sortie de ­Brooklyn [de John Crowley, sorti en 2016. Elle y incarne une jeune Irlandaise qui émigre aux États-Unis, dans les années 1950, dans l’espoir d’une vie meilleure. Ce rôle lui a valu une nomination à l’Oscar de la meilleure actrice, ndlr] et de ma première pièce à Broadway [The Crucible d’Arthur Miller, ndlr]. Je n’avais pas tenu de rôle-titre dans un film depuis plusieurs années, et j’ai laissé toute cette pression m’atteindre. J’étais très complexée. Greta le sait, j’ai toujours été très transparente avec elle, et, avec du recul, je pense que ça a aidé le film, car mon personnage dans Lady Bird était dans le même état. Quelques années plus tard, quand nous nous sommes retrouvées pour Les Filles du docteur March, j’étais plus en phase avec moi-même. J’avais retrouvé le plaisir de jouer, j’étais plus désinhibée et surtout j’avais une meilleure maîtrise de cet art.

Ladybird de Greta Gerwig

Vous avez joué dans de nombreux films d’époque (Brooklyn, Marie Stuart, reine d’Écosse, Ammonite…). Qu’est-ce qui vous plaît dans ces personnages ?

Je ne les considère jamais comme des films d’époque. Ce qui m’intéresse, c’est les relations humaines ou le style du scénario. Il y a des rôles que j’ai joués dans le passé que je n’accepterais plus. Mes choix dépendent souvent de ce dont j’ai besoin sur le moment pour me nourrir artistiquement. Marie Stuart, reine d’Écosse a été un vrai tournant dans ma carrière, car il a fallu que je montre une certaine confiance en moi, une autorité, peut-être parce que je jouais une reine. En tant qu’actrice, j’ai vu une vraie différence avant et après ce tournage. Les acteurs qui travaillent beaucoup sur les accents le disent souvent [Saoirse Ronan a souvent délaissé son accent irlandais pour des accents américains, écossais ou britanniques en fonction de ses rôles, ndlr] : au cours de notre carrière, on se transforme. On a d’abord envie de jouer des rôles très différents de nous, puis vient un moment où l’on a suffisamment vécu pour avoir envie d’utiliser ce vécu dans nos rôles. On ne cherche plus autant à se fuir. Pour Marie Stuart, même si ce n’était pas mon véritable accent irlandais, c’était un accent assez proche. Ça m’a permis de m’affirmer comme je ne l’avais encore jamais fait, et j’ai essayé de continuer dans cette voie.

 

Quand Les Filles du docteur March est sorti, vous aviez confié vouloir peut-être passer à la réalisation un jour. Avez-vous toujours cette idée en tête ?

Oui, absolument ! J’en ai envie depuis que je suis jeune, mais le fait d’avoir collaboré avec Greta de manière aussi intense pendant cinq ans a renforcé cette idée. Voir une personne qui vous rappelle vous-même faire ce qu’elle fait permet d’élargir votre champ des possibles. Il faut que je m’y mette. Pour l’instant, je suis le seul obstacle sur mon chemin.

The Outrun de Nora Fingscheidt, UFO (1 h 58), sortie le 2 octobre

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