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Robert Guédiguian rédac chef – LE FILM DU SOIR: « La Vie est belle » de Frank Capra
- Léa André-Sarreau
- 2020-05-05
Robert Guédiguian est le rédacteur en chef du jour de TROISCOULEURS. Films, podcasts, lectures, musique : tout au long de la journée, le cinéaste vous donne ses conseils de confinement. On continue avec le film La vie est belle de Frank Capra, une fable féerique qui dissimule sous son optimisme apparent une réflexion tranchante sur la société.
Le mot de Robert Guédiguian : « Pendant le confinement, je regarde plutôt des classiques. Je suis obligé de recommander La Vie est belle. Ça devrait être remboursé par la sécurité sociale ! C’est le film le plus réjouissant du monde : ça nous montre comment le monde serait triste si nous n’étions pas là. Voilà exactement le « pitch », comme on dit aujourd’hui, du film. C’est une idée géniale, une idée folle, la plus belle d’un film. Et c’est remarquablement foutu. James Stewart est exceptionnel. On ressort du film en se disant : « Mais mon Dieu, mon Dieu… il faut qu’on vive ! » C’est anti-dépresseur. »
Avec Le Magicien d’Oz et La Mélodie du bonheur, La Vie est belle fait partie de ces films-remèdes qui apportent du baume au coeur. Pourtant, ce conte de Noël n’a pas toujours bénéficié d’une telle popularité. Sorti en 1946, dans le contexte houleux de l’après-guerre où les esprits étaient encore tournés vers le passé, tièdement accueilli par la critique qui le trouve mièvre, La Vie est belle ne trouve pas son public malgré les précédents succès Frank Capra à Hollywood (L’Homme de la rue, Arsenic et vieilles dentelles).
On y suit le destin de George Bailey, citoyen de la petite ville de Bedford Falls qui a repris depuis la mort de son père l’entreprise familiale, société immobilière permettant à des foyers modestes de se loger. Dévoué aux autres, George est en conflit avec M. Potter, riche homme d’affaires de la ville. Alors qu’il est sur le point de remporter le bras de fer, il égare les 8 000 dollars à déposer à la banque. Désespéré, il décide de se jeter dans la rivière avant qu’un Ange lui soit envoyé par le Ciel…
Sous son vernis léché (une mise en scène fluide fondée sur des flash-backs fleurtant avec le fantastique, des décors féériques entièrement construits dans les studios californiens de la RKO), cette comédie plus amère qu’elle n’y paraît cristallise toutes les incertitudes et doutes de Frank Capra. D’abord sur la possibilité d’une collectivité saine, malgré l’individualisme de l’époque, la recherche du profit, la corruption économique et la peur de l’autre. Un idéal moral auquel le héros principal se raccroche comme à une utopie sociale, que Capra matérialise par de nombreux plans sur la foule, des images saturées.
Cet élan généreux et optimiste du film cache un revers plus désenchanté, porté par un anti-héros en proie à la dépression, accablé par le poids de son destin. Ainsi, pour Jean-François Rauger, critique et spécialiste du cinéma de genre, La Vie est belle est plein de « contradictions successives« , de dilemmes que jusqu’ici le cinéma hollywoodien avait pris soin de résoudre. Rien de tel chez le Capra de l’après-guerre : aux moments de liesse se succèdent toujours des climax dramatiques, et la fin des illusions entraîne, presque systématiquement, la cruauté des êtres.
Le film est disponible en VOD sur Canal Plus.
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Image: Copyright Swashbuckler Films