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SCENE CULTE: « Les Forbans de la nuit »
- Michaël Patin
- 2019-03-04
A l’occasion de la sortie en DVD de ce petit bijou du film noir, focus, en une scène fulgurante et programmatique, sur ce chef d’oeuvre intemporel.
Harry Fabian (Richard Widmark) est un petit arnaqueur avec de grandes ambitions. Autour de lui gravitent l’amoureuse inquiète (Gene Tierney), le riche patron de club pour qui il bosse comme rabatteur (Francis L. Sullivan), l’épouse perfide de celui-ci, ainsi que toute une galerie de paumés et de brutes des bas-fonds de Londres – où le cinéaste américain Jules Dassin vient de s’exiler pour fuir la chasse aux sorcières de Hollywood. Dès l’ouverture du film, Fabian est en fuite; l’échec à venir de sa nouvelle lubie – devenir un gros bonnet de l’organisation de combats – ne fait aucun doute. Nous sommes devant un film noir. Ce qui compte n’est pas l’issue (fatale), mais la manière d’y parvenir. Une affaire de tempo, celui du jazz, auquel le genre est intimement lié. Urbain, frénétique, percussif.
« Tu as toutes les cartes en mains, et pourtant tu es un homme mort, Harry Fabian. Un homme mort. »
Dans Les Forbans de la nuit, Dassin ne se contente pas de la bande-son de Franz Waxman, mais projette la métaphore rythmique à l’écran. Harry déboule dans la boîte de nuit en sautant par-dessus la rambarde de l’escalier. Bras ouvert, pied léger, il fait le show pour annoncer la bonne nouvelle: tout est prêt pour le combat du siècle. Sur la batterie posée sur scène, il improvise un solo victorieux. Contrechamp: le patron compose un numéro de téléphone, prétendument pour vérifier ses dires; au premier plan, Harry l’accompagne d’un swing chaloupé sur une cymbale. Mais la mélodie chantée dans le combiné est discordante.
Ce que veut le boss de cette turne, on le sait déjà, c’est éliminer Harry en le livrant à son concurrent. Un gros plan en légère contre-plongée imprime le dernier sursaut d’orgueil du malheureux. Rire forcé, dents serrées, œil luisant, il avance et empoigne son faux mécène par la manche. Mais le visage gras de celui-ci grignote le cadre avec délectation. « Tu as toutes les cartes en mains, et pourtant tu es un homme mort, Harry Fabian. Un homme mort. » Il ponctue sa phrase, et la scène, d’un unique coup de cymbale. Le glas est sonné. La faucheuse s’installe au pupitre pour le mouvement final.
Les Forbans de la nuit, de Jules Dassin, sortie en DVD (Wilde Side) le 27 mars.