La révélation Karla Sofía Gascón, impériale en couv' de notre nouveau numéro

Refaire le monde, c’est le vaste défi qui nous attend. Au dernier Festival de Cannes, l’un de nos grands éblouissements était constitué de cette volonté de réparer, de reconstruire en mieux. Emilia Pérez de Jacques Audiard épouse les codes de la tragédie tout en prenant le contre-pied du rise and fall. Comme un miroir inversé de Scarface. Encore sous le nom de Manitas et sous l’identité de genre masculine qui lui a été assignée à la naissance, Emilia Pérez est une baronne de la drogue au Mexique. Quand le récit commence, elle est au sommet du pouvoir tout en étant profondément malheureuse. Elle décide alors de tout plaquer.

Pour ce faire, Emilia s’adresse à une brillante avocate (Zoe Saldaña), ellemême en dépression car obligée par son cabinet de défendre des agresseurs au lieu des victimes c’est plus lucratif –, et lui demande d’orchestrer sa fausse mort et de lui dénicher un chirurgien pour qu’elle puisse transitionner de la manière qu’elle souhaite. Avant de se repentir jusqu’à aider les personnes dont elle a détruit la vie par le passé. On sent là un canevas de telenovela, avec ses plot twists improbables et ses bons sentiments.

Sauf que le film reste tout le temps sur un fil, sans rien asséner – on s'en rend bien compte lors de la scène de discussion chantée entre l’avocate et le chirurgien, qui débattent de la nécessité ou non de se faire opérer pour changer de genre, et la société avec – et sans cesser d’ausculter la fragilité, les doutes et les erreurs de ses personnages. La puissance terrassante d’Emilia Pérez tient en partie à sa forme hybride, complexe, impure. Comédie musicale, film social, tragédie, romance, thriller… Le film multiplie les genres, mute en permanence pour toujours mieux nous tenir en haleine.

Jacques Audiard, 72 ans, réinvente son cinéma en ne montrant pour une fois pas la fabrique du patriarcat et de la violence masculine (Un prophète, Deephan), mais en les prenant comme point de départ pour imaginer comment bâtir un monde meilleur sur leurs cendres. Dans notre dossier de couverture, on explore la manière dont il s’est entouré d’actrices géniales – Karla Sofía Gascón, Zoe Saldaña, Selena Gomez et Adriana Paz –, qui ont toujours eu le goût de la transformation sociale et de la réinvention.

À commencer par le rôle-titre, la révélation Karla Sofía Gascón, actrice espagnole qui a connu la gloire au Mexique et a transitionné à 46 ans. Recevant, à Cannes, le Prix d’interprétation féminine pour elle et ses trois complices, elle a eu les mots justes, ceux que l’on espère entendre résonner dans les temps à venir : « Je dédie ce prix à toutes les personnes trans, à nous toutes qui avons tant souffert. Je veux qu’elles arrivent à croire, comme dans Emilia Pérez, qu’il est toujours possible de changer pour avoir mieux. Et vous, qui nous avez fait tant souffrir, il est aussi temps que vous changiez. » • TIMÉ ZOPPÉ

AU SOMMAIRE DU N°207

EN BREF 🏃‍♀️

ENTRETIEN DU MOIS – HÉLÈNE FRAPPAT

FLASH-BACK – LES NUITS DE LA PLEINE LUNE

NOUVELLES STARS – SACHA TRILLES & MINA SERRANO

CINÉMA 🎬

EN COUVERTURE – EMILIA PÉREZ DE JACQUES AUDIARD

INTERVIEW – EAT THE NIGHT DE CAROLINE POGGI & JONATHAN VINEL

PORTFOLIO – CANNES DANS L’OEIL DE JULIEN LIÉNARD

L’INTERVIEW TRANSMISSION – LES FRÈRES LARRIEU

CINEMASCOPE : LES SORTIES DU 17 JUILLET AU 28 AOÛT

CULTURE 🎨

SPECTACLES – LE FESTIVAL D’AUTOMNE

PORTFOLIO – « THE INFINITE WOMAN » À LA FONDATION CARMIGNAC

Comme d'habitude, vous pouvez récupérer gratuitement la version papier dans tous les mk2. Pour les digital natives, rendez-vous ici, pour vous dégoter la version pdf !

Image : © Julien Liénard pour TROISCOULEURS