Isabella Rossellini : « Sophia Loren a inventé ce personnage merveilleux de la beauté méditerranéenne »

[Questionnaire cinéphile] Démente actrice chez David Lynch (« Blue Velvet »), réalisatrice de petits films fous sur les animaux, mais aussi fille de deux monstres sacrés du ciné (le réalisateur italien Roberto Rossellini et l’actrice suédoise Ingrid Bergman)… Isabella Rossellini propose une carte blanche au festival « Naples dans le regard des cinéastes ». Dans un français parfait, elle a répondu à notre questionnaire cinéphile.


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Décrivez-vous en 3 personnages de fiction.

Quand j’étais petite, j’aimais beaucoup lire Tintin et Caroline [une série d’albums écrits et illustrés par le Français Pierre Probst, publiés entre 1953 et 2007, ndlr], sur une petite fille qui a plein d’animaux. J’en ai moi-même. Tintin me plaisait beaucoup pour le sens de l’aventure. Je ne l’ai pas autant que lui, mais je voyage, et j’ai des chiens – lui, il a Milou. Je n’arrive pas à penser à un troisième personnage… C’est une question que je ne me pose même pas.

3 films sur les animaux que vous trouvez touchants ?

Umberto D., un très beau film de Vittorio de Sica. C’est l’histoire d’un homme vieux, à la retraite, qui n’a pas d’argent. Et il a un petit chien. Il se sent très seul. Donc, c’est sur ce rapport qu’il a avec le chien. Je pense que c’est un des plus émouvants. Quand j’étais petite, j’aimais beaucoup Les 101 Dalmatiens de Walt Disney. Encore aujourd’hui, je l’aime beaucoup. Les animaux m’ont toujours plu. Et une fois que j’ai vieilli, j’avais moins de travail dans le cinéma ou comme mannequin [elle a notamment été l’égérie de Lancôme, ndlr]. Je suis entrée à l’université il y a quinze ans pour satisfaire cette curiosité, apprendre l’éthologie et la protection de l’environnement. J’ai aussi réalisé une cinquantaine de sketchs autour des animaux [notamment les séries très drôles Green Porno ou Seduce Me, dans lesquelles elle joue des animaux en rut, ndlr]. C’est un intérêt que j’ai parallèlement au cinéma.

3 rôles joués par votre mère qui vous impressionnent ?

Il n’y a pas que trois rôles ! Mais je l’ai trouvée merveilleuse dans Les Enchaînés d’Alfred Hitchcock avec Cary Grant. Elle m’a aussi beaucoup impressionnée dans le film de mon père, Stromboli. Avec lui, qui était un metteur en scène du néoréalisme, les dialogues étaient improvisés, donc c’était très difficile pour elle, qui était habituée à une discipline dans le cinéma. Je crois que ça a été une grande aventure pour elle. Et puis il y a Une femme nommée Golda [une minisérie sortie en 1982, qui raconte l’histoire de la femme d’État et Première ministre israélienne Golda Meir, ndlr], le dernier rôle qu’elle a joué. Ma mère l’a fait sans maquillage. Elle n’a pas cherché à devenir Golda Meir physiquement. Elle s’est juste mis une perruque pour avoir les mêmes cheveux, et avait des sourcils un peu plus épais.

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Les Enchaînés d’Alfred Hitchcock

3 films de votre père que vous aimez particulièrement ?

Je vais en montrer trois au musée du Louvre. Voyage en Italie ouvre le festival. Ma mère et George Sanders jouent deux étrangers, des Anglo-Saxons, qui viennent à Naples. Ils regardent les beaux panoramas, les musées, mais peu à peu, ils commencent à sentir la magie de l’histoire, et ça les touche profondément. C’est une manière de voir l’Italie et surtout Naples d’une manière très vraie, pas comme une carte postale. Ce film a été très apprécié par les metteurs en scènes et d’ailleurs, pour la présentation du film au Louvre, Martin Scorsese m’a donné une petite déclaration pour raconter comment ce film a influencé son cinéma. Ce qu’il dit, c’est que c’est un film sur la psychologie des deux personnages, mais que cette psychologie est influencée par ce qu’il y a autour d’eux : la ville, les rues, les monuments…

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Voyage en Italie de Roberto Rossellini

Il y aura aussi l’épisode napolitain de Païsa [film en six chapitres indépendants, ndlr], qui raconte la libération de l’Italie par l’armée américaine. Et aussi un film qu’on ne voit pas très souvent, qui dure cinquante minutes et qui s’appelle Miracle. La grande actrice italienne Anna Magnani, avec lequel mon père était en couple mais qu’il a quittée parce qu’il est tombé amoureux de ma mère, joue une femme très pauvre et mentalement diminuée, qui a deux chèvres. Federico Fellini joue un clochard avec une barbe. Il passe dans les montagnes et la voit, et elle croit que c’est saint Joseph. Il lui donne à boire du vin, elle devient soûle, il la viole. Elle tombe enceinte et croit qu’elle est peut-être la madone.

Il y a eu un procès qui a mené le film jusqu’à la Cour suprême américaine dans les années 1950 [en 1951, la cour d’appel de New-York avait interdit le film, le qualifiant de « sacrilège ». Cet article du Monde rapportait alors qu’« après avoir étudié le mot sous sa forme étymologique, consulté les dictionnaires et saint Thomas d’Aquin », les neuf juges de la Cour suprême ont donné raison aux avocats du distributeur du film en statuant dans un article de loi qu’ « aucun État n’aura la droit d’interdire un film sous le prétexte qu’un de ses censeurs le considère comme sacrilège », ndlr]. J’aime beaucoup ce film, que je trouve plein d’empathie.

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Miracle de Roberto Rossellini

3 films rares à découvrir absolument ?

Dans la sélection du Louvre, on a choisi deux films qui je crois ne sont pas connus : le très beau documentaire Passione [inédit en France, ndlr] de l’acteur américain John Turturro [vu dans The Big Lebowski ou plus récemment The Batman, ndlr], d’origine italienne mais qui ne parle même pas italien. Il a grandi aux Etats-Unis. Souvent, la deuxième ou la troisième génération d’une famille qui a immigré a la nostalgie du pays d’origine. John a eu une espèce de curiosité par rapport à ça et a découvert la musique napolitaine. Comme Naples est un port, elle amène beaucoup de cultures. La musique, quand on l’écoute, peut avoir un côté arabe, africain, américain ou asiatique. C’est très intéressant.

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Passione de John Turturro

Puis il y aura aussi des comiques, avec le film de mon ami Luciano De Crescenzo [écrivain, scénariste et réalisateur napolitain, ndlr], Ainsi parlait Bellavista [une comédie adaptée d’un de ses livres, et sortie en 1984, ndlr]. Et aussi une soirée hommage à Totò [grand acteur napolitain, disparu en 1967, ndlr]. Je ne sais pas si en France on le connaît. En Italie, il est adoré. Tout le monde le connaît même s’il est mort il y a très longtemps. Les comiques ont souvent une bonne réputation, mais très locale. Par exemple, Coluche est très connu en France, mais personne ne le connaît à l’étranger. Totò, c’est un peu ça. Mais en Italie, les jeunes générations continuent de l’aimer.

Il joue dans un film dramatique qui sera projeté – le plus beau pour moi, mais aussi le plus vieux : L’Or de Naples de De Sica, où on voit pour une des premières fois Sophia Loren. Elle invente ce personnage merveilleux de la beauté méditerranéenne : ronde, pleine de sex-appeal mais qui en même temps ne se laisse pas toucher par les hommes.

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L’Or de Naples de Vittorio De Sica

Un film à regarder à 3 h du matin, une nuit d’insomnie ?

Comme je voyage beaucoup, je suis souvent insomniaque, j’ai le jetlag. Alors je regarde plusieurs films. Mais à 3 h du matin, on regarde des comédies, sinon on ne s’endort pas. Récemment, j’ai découvert Pierre Étaix grâce à Carole Bouquet, qui m’a offert le coffret. J’aime beaucoup son film Yoyo [sur un clown enfant qui devient producteur de spectacles, mais s’ennuie et repart sur les routes, ndlr], dans lequel il y a un éléphant.

: Festival Naples dans le regard des cinéastes, du 17 au 26 novembre au musée du Louvre 

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Portrait : © Paola Kudacki